n° 90

dimanche 5 août 2018

Dans la confusion des températures

Arriver à tenir une journée entière sans parler de la chaleur ? On était à deux doigts de réussir.

Il fut surtout question, dans les deux premières conférences de ce Banquet d’été, de confusion avec Gilles Hanus (16h47 : « Notre puissance de confusion est immense ») et de Michel Foucault avec Mathieu Potte-Bonneville (18h24 : « D’une crise, on sort. De celle-là, la crise écologique, on ne sortira pas »).

On s’entendit sur une veille nécessaire aux gens considérables, pour prendre source à « la différence du présent », et pour guetter le jour qui vient.

« Celui qui est revenu de tout sans être allé nulle part » passa son chemin. Il n’avait rien à faire ici.

Dans la nuit encore étouffante, Marie Ndiaye et Jean-Yves Cendrey lancèrent les mots du théâtre. Derrière, le village se détendait doucement, après une journée de feu. Marie lisait, et l’on entendait au loin monter de la rivière quelques cris d’enfants qui se baignaient sous les étoiles. On avait du mal à se souvenir que certains soirs, certaines années, on avait presque eu froid, ici, sous cette toile.

La première journée du Banquet s’achevait lentement.

Demain la veille ?…

Marie Ndiaye et Jean-Yves Cendrey, samedi soir au Banquet de Lagrasse

Au large de l’ile de Lanzarote, au cœur des Canaries, le sculpteur Jason deCaires Taylor a installé depuis janvier 2017, dans le Musée sous-marin « Atlantico », 300 figurants de béton, comme autant de migrants perdus sous la mer…

aujourd'hui

Une phrase

Chaque jour, une phrase, tirée d’une des conférences de l’après-midi. Aujourd’hui, cette citation de Nietzsche, dépliée par Gilles Hanus…

« Souvent, les originaux sont ceux qui nomment les choses »  Friedrich Nietzsche

Voguent les navires

Hier après-midi, sur les bords de l’Orbieu, en dessous de l’abbaye, nos amis de l’association Rebrousse-Poil organisaient un atelier de construction de petits bateaux avec des bouts de bois récupérés, et des pages de livres…

Variation sur la confusion 1

par Gilles Hanus

Notre titre : « Dans la confusion des temps » présuppose que le monde nous apparaît dans sa pulvérulence plutôt que dans son unité, que les repères que nous pensions y avoir s’estompent, que les événements de ces dernières années nous laissent désarmés. « Les temps », ce sont les nôtres. Là où nous croyions qu’il y avait une histoire ne restent que des temps, non synchrones, dispersés et c’est aussi la question d’une unité possible, la question de l’universalité que pose ce pluriel : y a-t-il encore un monde là où il devient impossible de saisir l’histoire sous les temps ? En l’absence de toute histoire, que reste-t-il ?

Notre titre présuppose la confusion. Admettons-la. « Confusion » peut s’entendre en deux sens : il désigne un état soit des choses soit de la conscience. Elle peut être objective, état de la matière avant qu’elle ne reçoive une forme, comme un magma plastique, un réservoir de possibilité non encore réalisées, un pur champ de virtualités non actualisées.

Mais elle peut aussi désigner un état de la conscience, l’incapacité à donner du sens à ce qui se trouve devant nous. Elle serait alors un symptôme davantage qu’une propriété du réel.

D’où la question : les choses elles-mêmes sont-elles confuses, chaotiques, rétives à nos tentatives d’organisation, de rationalisation, voire, parfois, de systématisation, ou sommes-nous devenus incapables de penser ce que nous vivons et, le cas échéant, pourquoi ?

 

Textes

 

Camille de Toledo

 

« Lettre de Berlin ou la théorie des trois Europes »

« La constitution silencieuse, implicite de l’Europe, c’est la mémoire, c’est l’expérience du XXe siècle » déclarait Imre Kertész peu avant de mourir, à Berlin. Et pourtant, le moment est venu de reconnaître que cette mémoire, cette expérience ont perdu leur pouvoir constituant. L’oubli est passé par là ou serait-ce l’irrésistible assaut du temps qui a érodé des consciences forgées peu après la catastrophe ? Si le passé ne suffit plus – je le disais en 2009, dans Le Hêtre et le Bouleau, il y a onze ans – alors, il faudra inventer un avenir : un avenir désirable, souhaitable, pour l’Europe. Et c’est bien cet à-venir, au XXIe siècle, qui est le cœur ardent de la bataille, ici et maintenant, sur ce champ des guerres d’hier, à l’endroit des anciens charniers, du génocide, en plein cœur de ce continent qui a projeté au fil des siècles ses puissances sur le monde et assujetti des pans entiers de l’humanité. Que veut culturellement l’Europe accomplir pour l’avenir, pour réparer ce qu’elle a fait ? Quelle histoire écrira-t-elle dans le sillon de tous ses crimes ? Comment cette nostalgie tissée de tant de hontes que l’on nomme encore, à défaut de mieux, Europe, pourrait-elle être, au XXIe siècle, un sujet retrouvé de l’Histoire sans s’imposer à nouveau comme une machine de mort ? Comment définira-t-on cette communauté à-venir si la force constituante du passé cesse de nous relier et si l’oubli recouvre, en chacun de nous, ce qui fondait la soif et la faim de paix ?

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1918, l'été Joë Bousquet

 

Le 27 mai 1918, à Vailly-sur-Aisne, près de Soissons, sur le plateau de Brenelle, l’écrivain Joë Bousquet, poète et philosophe, est atteint par une balle en pleine poitrine qui blesse sa moelle épinière et provoque la paralysie immédiate et définitive des membres inférieurs. Dans un petit livre passionnant paru au mois de juin aux éditions Trabucaire, Serge Bonnery et Alain Freixe reviennent sur cet événement qui détermina la vie sociale et artistique de Bousquet, et le rapproche de sa « deuxième blessure » : en 1939, lorsque Bousquet voit partir au front ses amis de Carcassonne et d’ailleurs, sa moelle épinière se remet à saigner…

Les auteurs nous ont autorisés à reproduire ici, chaque jour, des extraits de leur livre. Aujourd’hui, suite du texte de Serge Bonnery, qui revient sur l’épisode de la blessure, au début de cet été 1918…

 

« Mais revenons un peu en arrière. Au mois de mars 1942, dans sa chambre du 53 rue de Verdun, Joë Bousquet reçoit la visite de Simone Weil. On sait pour quelle raison précise la philosophe fit le voyage de Marseille à Carcassonne. A cette époque, elle se débat avec un projet de création d’un corps d’infirmières appelées à intervenir en première ligne pour porter secours aux blessés. Elle souhaite présenter aux autorités de la France Libre à Londres, qu’elle compte rejoindre plutôt que suivre ses parents dans leur exil américain, un dossier acceptable. Pour cela, elle doit obtenir des informations de la part d’un militaire rompu au quotidien de la guerre. C’est l’ancien officier, fort de son expérience, autant que le poète dont lui a longuement parlé Jean Ballard, le directeur des Cahiers du Sud, que Simone Weil vient rencontrer chez lui, à Carcassonne.

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Regarder

A onze kilomètres de Lagrasse, l’artiste Philippe Aïni a installé, dans l’ancienne cave coopérative du village de Serviès en Val, un centre d’art contemporain remarquable qui propose, jusqu’à la fin de l’été, une exposition collective d’une trentaine d’artistes autour de la haute figure de Pierre Souchaud, le créateur d’Artension. Chaque jour, nous vous proposons une œuvre exposée. Aujourd’hui, Hubert Duprilot…

Hubert Duprilot est né en 1975. Il vit et travaille à Rouen. On peut avoir une idée plus large de son travail en consultant son site.

« Sa démarche l’inscrit dans un sillon prestigieux qu’empruntèrent jadis des artistes comme Zoran Music ou Giacometti » (Jean-Henri Maisonneuve)

La Coop-Art, à Serviès-en-val, est ouverte chaque après-midi de 14h à 19h.

 

Comme ça, pour terminer...

O caput elleboro dignum, « Le monde dans une tête de fou », œuvre de Fine Oronce, 1494-1555.