n°78 : dimanche 6 août 2017

La joie aux retrouvailles

Mathieu Riboulet « à la criée », samedi après-midi dans la librairie du Banquet : « La Scierie », récit anonyme, éditions Héros-Limite…

EDITO

Yann Potin et Camille de Toledo ont ouvert le grand bal d’été : deux magnifiques conférences, une sur le Quichotte et sa soif de justice, qu’il appelle « honneur », son entêtement inébranlable à changer le monde ; l’autre sur l’exigence de l’historien. Deux figures du Banquet pour ouvrir ces indispensables chantiers. La joie aux retrouvailles, les habitudes, les nouveautés.

Rien ne change : le Banquet a toujours ses trois temps : celui des ateliers, le matin – le premier, celui de Dominique Larroque, qui dépliera les chants de l’Iliade et en organisera la lecture en clôture dans la nuit de vendredi, débute ce matin à 10 heures ; les autres demain lundi. Celui des conférences, l’après-midi. Des lectures, le soir.

Mais beaucoup de nouvelles choses se mettent en place. Des détails, comme une nouvelle guinguette au fond du jardin. Des contenus nouveaux, comme ce rendez-vous quotidien à la librairie (à 17 h 30, chaque jour, un écrivain vient, à voix haute, « vendre » un livre qu’il a aimé). Ou ce cycle vidéo qui propose, dans la boulangerie des moines, de revisiter entre 10 h et 16 h les archives du Banquet.

Mais le changement le plus profond, le plus puissant, c’est la volonté de l’équipe organisatrice du Banquet de penser ensemble ce beau projet, de rêver tous ces moments qui aujourd’hui prennent vie un à un. Et de leur imaginer déjà un avenir plus fort encore.

 

Les interviews de la guinguette

Camille de Toledo a ouvert hier samedi à 16 heures le grand cycle des conférences du Banquet d’été 2017 avec Cervantès, et l’ingénieux hidalgo Don Quichotte de la Manche…

Hommage de l'auteur absent du Banquet...

L’absent, c’est un habitué du Banquet. Mais cette année, il n’est pas là. Pourquoi ? Et quel est l’état de son esprit en ce mois d’août 2017 ?… Aujourd’hui, l’écrivaine et dramaturge Michal Govrin, qui a illuminé de sa présence, au mois de mai dernier, le Banquet de printemps, consacré aux littératures israéliennes.

 

Chers amis,

Merci pour cette invitation comme auteur absent. Boire ensemble le bon vin, jouir de la douceur du soleil dans la cour de l’abbaye, de l’amitié, de la parole et du rire, être ensemble dans un moment rare. Comme une fête. Comme un shabbat.

La joie du Banquet s’écoule de Lagrasse jusqu’à ma table de travail et me remplit de la foi que les mots qui percent le silence de l’instant continuent de résonner. Ils se donnent, se tendent, se forment de nouveau pour retourner à leur source cachée.

Car y a-t-il une définition plus juste de cette présence fragile de l’écrivain que celle de l’écrivain présent-absent ? C’est la même bénédiction, la même malédiction, être dans l’instant mais aussi toujours, en même temps, en dehors de lui :

Sculpter dans le silence total ce qui n’a pas été encore dit, ce qui est caché dans les profondeurs de la mémoire. Le reflet d’une vision qui tremble de nouveau. Le corps se souvient. Et lui aussi est présent-absent pendant l’écriture. Mais dans l’attention du public de la salle du Banquet, dans cette écoute pleine et rare, dans ces instants de grâce, le « je » disparaît aussi. N’existe que l’entre-deux, celui du don, de ce qui frémit et échappe aussitôt à toute tentative d’emprise.

Et c’est ainsi que je suis loin à l’heure où j’écris ces lignes, assise à mon bureau, et que je gravis en même temps le chemin escarpé qui surplombe la vieille abbaye de Lagrasse, mon souffle se fait plus court, je suis sous le ciel légèrement nuageux d’un matin de printemps, face au paysage vallonné et boisé, face aux vignes, à la rivière et aux ponts parfaitement dessinés. Je suis assise, loin, et je me remplis du flot collectif, du vin, de la rencontre, du regard qui pénètre profondément un autre regard ému, l’espace de quelques secondes.

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Les livres des rêves

TRAVAIL – de Émile Zola

Émile Zola a publié Travail en 1901, quelques mois avant sa mort. Le roman fait partie d’un cycle romanesque jamais achevé, Les Quatre Évangiles, dans lequel Zola laisse libre court à une nouvelle inspiration utopique.

En 1979, les éditions Verdier rééditent cette œuvre, en demandant au collectif des ouvriers de Lip, qui achèvent leur lutte, de relire ce roman de l’utopie ouvrière. Cela donnera une étonnante préface de trente pages, qui se termine par cette réflexion d’un ouvrier de la célèbre usine de Palente : « Je me rends compte que depuis le début de notre histoire, j’ai le même projet. Avant, sans doute avais-je une idéologie confuse qui obscurcissait la formation de ce projet essentiel. Aujourd’hui, je dis les choses autrement. Mais je tiens toujours à réaliser mon idéal. Ce projet à réaliser, c’est le sens de mon existence. »

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Une journée au Banquet

Chaque jour, un passant considérable nous raconte sa journée au Banquet. Aujourd’hui, la romancière Dominique Sigaud (Tendres rumeurs, Sonneur 2015). Sa journée a commencée vendredi soir, avec la lecture de Erri de Luca, par Anne Alvaro…

On ouvre le premier cadeau, la nuit tombe, Banquet du livre 2017, Noël en été ; on sait chaque année que ça reviendra, on l’attend, on retrouvera ceux qu’on aime, on aura préparé des cadeaux, on sait d’avance qu’on en aura mais pas ce qu’ils contiennent.

C’est vendredi 4 août on est venu chacun de sa ville son village, on se voit de loin, le chapiteau est dressé, les tables mises, oh comment ça va, ça me fait si plaisir comment vas-tu, baisers, main sur la joue. Vers 18 h on inaugure, quatre présidents pas moins, ils disent que Noël prochain sera encore mieux, attends, faisons celui-là d’abord ; on prend l’apéritif, on commence à se regrouper, le corps se reconstitue, que nous reformerons ensemble cet été. On se retrouve à table pour le premier repas, on retrouve ses places, l’eau est mauvaise cette année, ici ils disent ennée, c’est beau, on ajoute du rosé dedans. On ouvre le premier cadeau, la nuit tombe, Anne Alvaro lit Erri de Luca, on a le corps alangui fatigué dans une chaise longue sous la seule étoile de Vénus, premier cadeau réussi. Raconte-moi des histoires la nuit s’il te plaît encore. On traîne encore un peu, certains ont trop bu déjà, on dit n’importe quoi, parole parole, la femme de Pétain était arlésienne, Neymard c’est Austerlitz, Sacha Guitry bandait mou. La nuit est difficile. A 8 heures un homme et des chiens hurlent dans la campagne. Coups de fusil.

Je mets une autre robe. Noël. Samedi 5 août. Il convient de prendre son plaisir très au sérieux : cette phrase, dès le réveil, sans prévenir, m’annonçant la journée peut-être. A Noël il convient de prendre son plaisir très au sérieux. J’attends les autres cadeaux. Nous sommes venus là pour ça, nourrissant les plaisirs. Lire écrire écouter s’entendre se dire se lire se retrouver. Fuyant autant que possible ce qui nous amoindrirait. Cadeau un, 16 h 30. Je reconnais sa voix aussitôt, cette voix m’emmène aussitôt, de vieillard presque, un homme de mille ans ; il dit le Quichotte, il parle de Tolède, c’est son nom aussi, Camille de Toledo, il parle du déraisonnable, et nous qui souffrons d’un réel si lourdement défendu que nous peinons à le modifier. Je ne le regarde pas, je l’entends, je me dis ce type-là marche sur l’eau, ça fait des années déjà que je l’entends, j’ai enfin compris ça, il parle de chutes en nombre innombrable, un homme qui est tombé et se relève, qui tombe et se relève. C’est Noël, cet homme est venu offrir ça, le principe allégresse, réinjecter la fiction au monde. Savoir se relever. Comprendre l’art du relèvement, contredire la chute annoncée. Contredire ce qui nous nuit.

On me presse, une minute avant Mathieu. Mathieu c’est Riboulet, ses textes je les mange, il est conduit tout au fond de la librairie de Christian Thorel, très belle, installée sous les voûtes, ça s’appelle « un livre à la criée », il prend un livre et pendant quelques minutes en parle, le livre de la Syrie, non pas du tout pas de Syrien, le livre de la scierie, le cadeau c’est le livre, le cadeau c’est l’écrivain Mathieu Riboulet offrant de nous faire connaître ce livre qu’il a aimé ; j’aime beaucoup les écrivains qui savent parler des écrivains, ces dons qu’on se fait, et toi dans ton cadeau t’avais quoi ?, une scierie et toi ? Je bois des sirops de thym. On parle au bistro de Spinoza. C’est ça Noël je crois. Je ne reste pas longtemps devant la dernière conférence, il y a de belles phrases pourtant sur les rêves à considérer comme des archives mais trop de dinde peut-être nuit à ma concentration. Certaines langues m’émeuvent terriblement d’autres moins. Certaines langues m’offrent à rêver, redire, recommencer, d’autres moins. De certaines parfois on dirait qu’elles aimeraient te piquer jusqu’à l’air qui sort de la tienne quand tu les écoutes. J’exagère bien sûr. Je me souviens qu’il faut prendre ses plaisirs au sérieux.

Dominique Sigaud

 

Variations sur l'action (3)

par Gilles Hanus

Qu’est-ce qu’agir ?

Qu’est-ce, au fond, qu’agir ? La question, comme cela arrive parfois, semble incongrue tant les réponses affluent sitôt qu’on la pose. « Agir, écrit Sartre, c’est modifier la figure du monde, c’est disposer des moyens en vue d’une fin, c’est produire un complexe instrumental et organisé tel que, par une série d’enchaînements et de liaisons, la modification apportée à l’un des chaînons amène des modifications dans toute la série et, pour finir, produise un résultat prévu. »

Ce qui caractérise donc l’action c’est qu’elle consiste en une modification intentionnelle. L’homme qui provoque quelque chose par mégarde n’agit pas vraiment : il ne savait pas ce qu’il faisait, il ne visait rien même si quelque chose est arrivé par son truchement, s’il a modifié inconsciemment une série de causes et d’effets et fait advenir quelque chose d’inattendu. Faut-il alors dire qu’agir c’est savoir ce que l’on fait ? Ce serait confondre l’action et le savoir, l’incertitude qui accompagne toute action avec la certitude que procure la connaissance. Agir n’implique pas de prévoir toutes les conséquences de son acte – nous n’agirions sinon jamais hors des laboratoires –, c’est plutôt viser consciemment un nouvel état des choses. La condition de l’acte est alors la capacité à concevoir ce que Sartre appelle un « possible désirable et non réalisé », quelque chose qui, dans l’état actuel du monde, fait défaut. Agir, c’est s’efforcer de surmonter ce défaut du réel.

Feuilleton : les révoltés de Counozouls

par Jacques Joulé

Chapitre III

 

Counozouls, à la fin du XIXe siècle, est constitué de maisons de formes irrégulières, habitées par à peu près 400 personnes (48 aujourd’hui). Elles sont bâties en pierres de granit souvent non crépies, la porte d’entrée est cochère, le linteau porte à la clef une date et le nom du propriétaire. Au rez de chaussée, une remise pour les animaux (passade), au premier étage le logement, plus haut encore le soubirach (fenil). La pièce principale est la cuisine, où se trouve une cheminée pouvant accueillir sous son manteau tous les membres de la famille pendant que, pendu à la crémaillère et cuisant dans le pairol, le repas à venir frémit. Sur les murs blanchis à la chaux sont accrochés des ustensiles de cuisine et des casseroles en cuivre, au ventre desquelles se reflètent les flammes du foyer. En face de la cheminée, un buffet sert de placard à ranger la vaisselle. Au milieu, une grossière table en bois et deux bancs. Sur le côté de la pièce, en renfoncement, une réserve (despensa) où sont posés sur des étagères, et en fonction de la richesse du moment, des pots en terre vernissée. A l’intérieur, viandes de porc salé et confits de canard, bien à l’abri dans la graisse figée. Suspendus à une poutre, saucissons et saucisses sèches font guirlande. Alignées sur les étagères comme des militaires à la revue, des conserves en verre de légumes et de fruits du jardin, ramassés en abondance tout au long de l’été. Sur l’étagère la plus haute, les inaccessibles confitures, et au sol, la bonbonne de vinaigre de vin. La maîtresse de maison est la seule à connaître toutes les richesses de la pièce. C’est son domaine, et la clef de la porte reste dans la poche de son tablier. Il faut être prudent, car les hivers peuvent être longs, et la jointure parfois difficile avec les nouveautés du jardin de printemps.

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L'image de fin, et à demain...

Samedi soir à la nuit tombée, Serge Renko lit « Entre ciel et terre » de Jon Kalman Stefansson, traduit par Eric Boury chez Gallimard.
10h
Cycle vidéo (10h-16h),
Boulangerie de l’abbaye
10h
Atelier grec sur l’Iliade, école du village
16h
Marie-José Mondzain, conférence, abbaye
17h30
Le Livre à la criée, Yann Potin, librairie du Banquet
18h
Pierre Caye, conférence, abbaye.
21h30
Lecture : Céline Minard, abbaye

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