N°74 : DU PRINTEMPS À L'ÉTÉ

DU NOUVEAU DANS LE COMMERCE

A Lagrasse, il arrive que janvier dure mille ans. La nuit semble grignoter peu à peu la moindre idée de jour, et la lumière se fait de néon pâle, à bout de souffle. Le ciel pèse alors directement sur le fond du val, les brumes humides effacent le roc de Cagalière, et masquent jusqu’aux pins à tête folle qui chahutent dans le vent gris. On appelle ça l’hiver. Le village semble en apnée. Les rues sont vides, les restaurants fermés.

Les rares touristes s’étaient dit « Tiens, on va aller à Lagrasse, l’hiver ça doit être différent »… Ils errent d’un bout à l’autre de la Promenade, emmitouflés dans des scaphandres polaires.

– Tous les restaurants sont fermés ?

– Hélas

– Ah oui… c’est vraiment différent.

 

 

Les restaurateurs, pendant ce temps, sont au repos à Kuala Lumpur, Chico Chico ou Carthagène des Indes, qui n’est pas en Inde mais en Colombie. Lagrasse est différent…

Les restaurateurs d’ici prennent toujours leurs vacances dans des endroits exotiques, où parfois le dérèglement climatique provoque des catastrophes naturelles, des typhons, des inondations. Pendant ce temps, à Lagrasse, l’eau monte. Le 14 février, puis samedi dernier, 25 mars, des pluies diluviennes sont venues balayer le consensus humide et moite des Corbières. Des abats d’eau violents et concentrés, qui ont fait monter la rivière à la vitesse d’un âne au galop. L’air est alors doux, ocre, chargé comme une éponge. Entre deux visites aux vieillards esseulés, l’employé municipal mesure : 1m80, 2m05, 2m40 : l’Orbieu monte. En bas de la Promenade, sous le pont neuf, Hervé Pasquier débarrasse sa boutique d’olives, huiles et tapenades : c’est toujours le premier inondé. Hervé monte les cartons et les tables, les bocaux et les bouteilles. Il n’est pas inquiet, même pas fataliste : « ça permet de nettoyer à fond une ou deux fois par an… »

C’est aussi en janvier qu’on signala la présence d’un sanglier dans le village. Un mâle, très costaud, qui s’aventurait, la nuit, jusqu’aux premières maisons. On l’aperçut à la Porte d’eau, puis sur le chemin de Patatou. Les imaginations s’enflammèrent un peu, et chacun y alla de sa version, de son « analyse ». La question du sanglier sauvage et du commerce que l’on peut entretenir avec lui – lui foutre un coup de fusil et le passer en daube, ou le nourrir au biberon et s’en faire un ami – était aussi cette semaine au cœur des débats de la justice narbonnaise. Une histoire classique de chasseur et de protectrice des animaux, mais bien assaisonnée à l’hystérie contemporaine. La voici, telle que le journal L’Indépendant la conta en majesté : « Qui sera condamné ? Le tueur du sanglier borgne, ou la maitresse de l’animal ? »…

A peu près à la même époque, les cloches sont devenues folles. Ça n’a duré que deux jours, mais on ne savait plus si l’on enterrait ou si l’on mariait quelqu’un, s’il était huit heures du soir ou midi pile. Il nous vint – l’hiver est décidément le temps des nouvelles étranges, fausses ou vraies, qui circulent apparemment toutes seules – qu’il y avait des travaux à l’église. Une « intervention sur le réseau électrique du bâtiment ». Raison pour laquelle. On s’enquit. Et l’on put alors vérifier la seule vraie nouvelle qui valait la peine : l’électricien qui travaillait à la rénovation de l’église s’appelait bien Jésus…

Puis le printemps est arrivé. Dans l’abbaye, de l’autre côté du mur, du côté des ultras-trads (« une famille = un papa, une maman, et un costume gratuit »), des petites nuées de scouts boutonneux volètent le week-end sur le chemin derrière la prairie. C’est aussi à ça, désormais, que l’on reconnaît ici l’arrivée du printemps. On est bien d’accord : la campagne électorale risque d’être interminable…

Autrement, à Lagrasse, il y a du nouveau dans la limonade : Thierry a vendu le Café de la Promenade à Willy, et Adeline a vendu La Petite Maison à David. Mais qu’on se rassure : à la Maison du Banquet, Renaud est toujours là…

LE BANQUET DE PRINTEMPS

Le prochain grand rendez-vous de la Maison du Banquet et des générations est fixé au week-end de l’Ascension : Le Banquet du Livre de printemps, consacré aux littératures israéliennes, réunira de nombreux auteurs qui font aujourd’hui sa vivacité et sa variété.

le cinéaste Avi Mograbi

La société israélienne est complexe, multiple, et légèrement énervée. Et personne ne l’exprime mieux que le cinéaste Avi Mograbi. C’est lui qui ouvrira ce Banquet au cours d’une journée spéciale que nous lui consacrerons, le jeudi 25 mai, à l’Espace Culturel des Corbières de Ferrals.

Puis du vendredi 26 au dimanche 28, nous retrouverons l’abbaye de Lagrasse et nos rencontres et lectures traditionnelles.

 

 

 

Au programme, autour de Valérie Zénatti, Michal Govrin, Dory Manor, Moshé Sakal, Dror Mishani et Etgar Keretz

 

Dans ce texte, qui date de 2008, Moshe Sakal, un de nos invités, revient sur les grandes tendances de la littérature israélienne contemporaine :

« La littérature israélienne a parcouru un long chemin depuis la création de l’État juif en 1948. Si elle s’est focalisée durant les premières décennies – du moins dans ses courants majoritaires – sur des thématiques locales et nationales, relatives à l’édification du pays, à la lutte pour sa survie, les écrivains israéliens d’aujourd’hui ne craignent plus l’influence de la littérature émanant du monde extérieur, ce monde qui symbolisait pour les générations de pionniers la diaspora qu’ils pensaient avoir quittée définitivement.

Le dialogue avec les influences extérieures

Ces dernières années, pour ne citer qu’un exemple parmi d’autres, on assiste à un dialogue fructueux, direct ou détourné, entre les littératures israélienne et russe. À côté d’auteurs d’origine russe ayant émigré en Israël dans les années 1970 – comme Alex Epstein, Marina Grosslerner, Boris Zeidman ou la poétesse Sivan Beskin –, on trouve des écrivains natifs d’Israël sur l’œuvre desquels l’influence russe est indéniable. Citons à cet égard le traducteur Ronen Sonis, dont les parents sont nés en Russie, ou le dramaturge, écrivain et traducteur Roee Chen, né en 1980, dont la mère est d’origine marocaine et le père issu d’une lignée enracinée de longue date sur la terre d’Israël. Ce jeune homme est considéré comme l’un des meilleurs traducteurs du russe et, dans ses propres productions, l’incidence de la culture européenne est flagrante. La jeune romancière Maya Arad, née elle aussi en Israël, a quant à elle rendu un hommage appuyé à Pouchkine dans son roman Un autre lieu, une ville étrangère, qui n’est autre qu’une adaptation d’Eugène Onéguine, fidèle par sa forme versifiée.

Dans un tout autre domaine, une influence s’exerce dans le genre de la fantasy, aujourd’hui en nette progression. Parmi les titres les plus emblématiques, Le Cœur enseveli de Shimon Adaf, Le Léviathan de Babylone de Hagar Yanaï, ou encore Les Filles du dragon de Marit Ben-Israël. Notons également Les Désirs de la terre de Sarah Blau, dont l’héroïne, issue de la communauté ultraorthodoxe, crée un golem.

Le centre et la périphérie

Est-on amené à observer, dans un petit pays comme Israël, une différence fondamentale entre les œuvres produites à Tel-Aviv et celles écrites à Jérusalem ? Ou encore entre la littérature urbaine et celle de la périphérie ? « Il s’agit d’une illusion d’optique, déclare Ronit Weiss-Berkowitz, éditrice chez Keter, une maison d’édition basée à Jérusalem. Par son statut, la ville de Jérusalem s’impose d’elle-même dans les œuvres de romanciers hiérosolomytains comme David Grossman, Amos Oz ou Tseruya Shalev. En revanche, Tel-Aviv, c’est davantage un état d’esprit qu’un lieu déterminé. Parfois, on dirait qu’il y a quelque chose dans l’horizon de Tel-Aviv qui rend superficielles les œuvres des jeunes auteurs israéliens. La langue truffée d’américanismes et la mer constituent autant de repères géographiques mais ne signifient rien ».

Le roman de Sara Shilo, intitulé Les Elfes ne viendront pas, a pourtant suscité un extraordinaire engouement, remporté plusieurs prix, dont le prix Sapir (la récompense la plus prestigieuse décernée en Israël à une œuvre littéraire), et a connu un véritable succès commercial. Il décrit la vie d’une famille résidant dans une petite ville au nord d’Israël qui vit sous la menace perpétuelle des roquettes tirées depuis l’autre côté de la frontière.

Où en est la littérature engagée ?

Qu’en est-il, par ailleurs, de la littérature engagée ? On dirait parfois que, pour correspondre au goût des éditeurs étrangers, les auteurs israéliens se sentent obligés d’aborder des sujets en rapport avec l’armée, la Shoah ou le kibboutz. Et ainsi, bon nombre de textes suivent l’actualité politique (les accords d’Oslo, le meurtre du Premier ministre Yitzhak Rabin, la guerre du Liban, etc.). Bien fréquemment, les événements servent simplement de décor interchangeable derrière les personnages. D’autres romans traitent de la situation intérieure du pays de manière plus frontale, mais sans chercher à donner de la réalité un éclairage plus nuancé ou inédit. « Il semble que la problématique patriotique soit redevenue centrale, dit Shai Tsur, chercheuse en littérature rattachée à l’Université hébraïque de Jérusalem, et que, la plupart du temps, les questions nationales sont abordées sous l’angle de la réconciliation et de l’apaisement ». Des romans tels que Si le paradis existe de Ron Leshem (qui traite d’une unité militaire postée au Sud-Liban, dans la forteresse de Beaufort, juste avant le retrait de Tsahal en 2000) ou les textes d’Eshkol Nevo soulèvent un grand enthousiasme auprès du public, alors que la critique est divisée à leur encontre.

L’édition israélienne laisse-t-elle la place à des sensibilités différentes ? Omri Herzog, critique littéraire au quotidien Haaretz, affirme que l’on a assisté dernièrement à l’éclosion d’une littérature émanant des minorités, dont les auteurs sont des Juifs orientaux, des Arabes, des femmes, des homosexuels, etc. : « Ces œuvres représentent une alternative à la littérature israélienne classique ». Sur le même sujet, Rana Werbin, éditrice chez Yediot Sfarim, explique que « les œuvres des minorités sont publiées, y compris par les grandes maisons d’édition, mais [que] leur succès demeure confidentiel. Il faut dire que la littérature homosexuelle ou la littérature arabe ne disposent pas d’un lectorat très large en Israël. Elles restent très marginales. La littérature russe peine encore à trouver son public, même si quelques auteurs connaissent un succès non négligeable ». Moshe Sakal, romancier et critique littéraire au Haaretz (Traduit de l’hébreu par Deborah Kaufmann)

Les auteurs invités pour ce Banquet de printemps :

Etgar Keret, Valérie Zénatti et Moshé Sakal

Dror Mishani, Dory Manor et Michal Govrin

SE REPOSER OU ÊTRE LIBRE

 

Le Banquet d’été, lui, se construit peu à peu autour du thème « penser rêver agir ».

« Il faut choisir : se reposer ou être libre » (Thucydide)

Le Banquet du Livre de l’été 2016, qui explorait « Ce qui nous sépare, ce qui nous relie », a marqué le début d’un nouveau cycle : nombre d’interventions et de lectures de penseurs et d’écrivains présents à Lagrasse ont affirmé l’exigence de l’engagement, d’une pensée de l’action que nous impose le monde d’aujourd’hui.

Le Banquet 2017 fera donc un pas plus avant en interrogeant l’articulation entre le penser et l’agir. Des utopies à la confrontation au réel, des idéaux moraux aux exigences, éthiques, pour sa propre existence. Comment la pensée trouve-t-elle un accomplissement dans l’action ? Comment celle-ci peut-elle conserver en elle l’intention qui l’a initiée ? Dans son rapport à l’action, la pensée se réduit-elle au concept ? Ne mobilise-t-elle pas aussi des images, des figures, des modèles, des récits qui peuvent prendre la forme de mythes, de fantasmagories ou d’utopie ? Au plan collectif, la politique ne peut se contenter d’être une pure pratique du discours déconnecté de tout souci d’action réelle, ni une manière d’agir, un pur pragmatisme, insouciant de la vérité du discours qu’il déploie pour justifier ses actions. Dans l’histoire, les révolutions font partie des moments où – quels soient les errements ultérieurs – la pensée mise en acte, l’exigence d’une action qui corresponde enfin à la parole cherchent à transcender les impasses du discours politique. Au cours de ce Banquet, nous réfléchirons donc à l’exigence d’une conduite juste dans un monde qui ne l’est pas.

Arrête ton char !

Avec en clôture, une « Nuit de l’Iliade » au cours de laquelle des écrivains, des penseurs, des artistes et tous ceux qui le souhaitent se succèderont pour porter l’intégralité du poème d’Homère, à savoir quinze mille trois cent trente-sept hexamètres dactyliques divisés en vingt-quatre chants…

La lecture, commencée le vendredi 11 août à 22 heures, devrait se terminer dans la matinée du samedi (aux alentours de 9 ou 10 heures ?), juste après les funérailles d’Hector.

DEUX NOUVEAUX RENDEZ-VOUS

L’automne verra la naissance de deux nouveaux rendez-vous qui viendront enrichir un calendrier 2017 déjà très dense.

Au début du mois de septembre, Lagrasse accueille depuis trois ans Les Pages Musicales, un festival de musique de chambre qui propose pendant quinze jours, sous la direction artistique du pianiste Adam Laloum – tout récemment lauréat des Victoires de la Musique 2017 – un programme remarquable servi par les meilleurs jeunes solistes du moment. Pour renouer avec Les amis de l’orgue de Lagrasse, qui organisent ces Pages Musicales, et qui nous ont accompagné pendant de nombreuses années pour le Banquet d’été, nous avons imaginé ces deux journées autour de « La littérature des musiques et des musiciens » (9 et 10 septembre) qui mettront en relation ces deux manières de rêver et de dire le monde…

 

Adam Laloum

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Les Pages Musicales de Lagrasse se dérouleront cette année du 1er au 10 septembre. Traditionnellement, les entractes se célèbrent sous la halle de la place de la Mairie, à base de vins du cru…

 

 

 

 

Le second nouveau rendez-vous aura lieu à la fin de ce même mois de septembre. Bruits de pages sera consacré, du 28 septembre au 1er octobre, à la rentrée littéraire. Ce nouveau festival itinérant a été imaginé avec nos partenaires du pôle livre du Département de l’Aude : Montolieu Village du Livre, Le Centre Joë Bousquet de Carcassonne, la Bibliothèque Départementale de l’Aude, et la Bibliothèque de l’Agglomération de Carcassonne. Pendant quatre jours, les auteurs et les critiques de la rentrée littéraire rencontreront leur public, le jeudi et le vendredi à Carcassonne, le samedi à Montolieu et le dimanche à Lagrasse…

Dessin Martin Vidberg (Le Monde)

LES RENDEZ-VOUS DE LA LIBRAIRIE

D’ici l’été, la librairie du Banquet, Le Nom de l’homme, animée par Aline Costella, poursuit son cycle mensuel de rencontres d’écrivains.

Après Françoise Valon en janvier (Simone Weil ou l’expérience de la nécessité, Le Passager clandestin 2016), Dominique Blanc en février (Le Brigand de Cavanac, Verdier 2016) et Camille de Tolédo en mars (Le Livre de la faim et de la soif, Gallimard 2017), nous recevrons :

Emmanuelle Pagano le 22 avril autour de son ouvrage Saufs riverains (P.O.L. 2017)

Gaëlle Obiégly le 13 mai pour son roman N’être personne (Verticales, 2017)

et Eric Vuillard le 24 juin pour son nouveau récit L’Ordre du jour, à paraître chez Actes Sud au début du mois de mai…

ARCHIVES

RESEAUX

SUIVEZ NOUS SUR LES RÉSEAUX SOCIAUX…

  FACEBOOK : La Maison du Banquet et des générations / Le Banquet du Livre

  TWITTER : @Banquetdulivre