n° 79 : lundi 7 août 2017

Les actes vont trop vite

Chapiteau bondé pour les conférences de l'après-midi...

EDITO

Un lien étrange et précieux unit les lecteurs de Corbières-Matin, cet éphémère quotidien qui, depuis vingt-deux ans, paraît quelques fois dans l’année…

Cette aventure date d’un autre siècle, celui où il n’y avait que du papier pour faire circuler les textes et les images, les idées, les récits, la poésie des mots et des sentiments. Lorsque le Banquet parut, en 1995, il nous avait semblé tout à fait évident qu’il ne saurait se faire sans un journal quotidien. En papier. Écrit, illustré et imprimé dans le village. Pure folie, évidemment ! La rencontre avec de géniaux entrepreneurs qui voulaient justement commercialiser, dans le monde de l’édition, la toute première machine d’impression numérique à la demande rendit le rêve possible : pendant quatre ans, ils installèrent, dans les salles de classe de l’école du village, le contenu de deux semi-remorques de machines à imprimer, qui fonctionnaient sur le modèle de la machine à fabriquer les boîtes de corned-beef dans Tintin en Amérique : on introduisait, dans l’ordinateur de gauche, une disquette (qui se souvient encore des disquettes ?) sur laquelle la maquette du journal était finalisée, et à l’autre bout d’une chaîne de dix mètres dissimulée sous des capots en tôle, le journal sortait, s’empilait, à la grande joie quotidiennement renouvelée des habitants de Lagrasse qui, toute la nuit, passait pour voir « le livre »…

Autant dire que le modèle économique de Corbières-Matin ne reposait que sur l’envie des entrepreneurs. Le jour où, quatre ans plus tard, les fonds de pension américains qui pilotaient la boîte se renseignèrent sur ce que c’était exactement cette opération estivale qui coûtait si cher, Jean-Pierre et François eurent du mal à tout expliquer. Et la folie prit fin. Entretemps, ils avaient perfectionné leur machine, et trouvé à Lagrasse les contacts dans l’édition qui permirent aux retraités californiens de s’engraisser d’avantage. Corbières-Matin se mit en repos, le temps que les outils numériques lui offrent une nouvelle jeunesse. Depuis, sur le même mode – un mélange de contributions d’écrivains, d’habitants de Lagrasse et de fantaisies diverses – le lien se renforce.

Hier encore, le message que le philosophe Paul Audi nous envoya de son île grecque finit de nous en convaincre : « J’attends chaque jour Corbières-Matin comme L’équipe pendant le Tour de France. Ça permet de ne rien rater, et de tout suivre, étape par étape » !…

 

 

Une journée au Banquet

Chaque jour, un passant considérable nous raconte sa journée au Banquet. Aujourd’hui, le romancier Michel Jullien (Denise au Ventoux, Verdier 2016)

 

Éloge des retards

 

Combien m’ont sermonné, pendant combien d’années ? J’avais vu ceux de Verdier au cours de l’année 1994 mettre en œuvre les fondements de ce que serait, à Lagrasse, le premier Banquet. Malgré moi, en quelque sorte, je me situais au cœur du coup d’essai. Il eut lieu, je n’y étais pas puis, dans les mois qui suivirent, à Paris, je récoltais leurs paroles, j’appréciais auprès d’eux ce que furent les tempos de la semaine, en différé quand, déjà, ils rectifiaient, s’ingéniaient, façonnaient ce qu’allait être la seconde édition. « Tu viendras cette fois » – injonction plus que question. Mais non, pour des années. Un puis deux nouveau-nés, une famille, un certain goût de la montagne, les coutumes estivales m’emmenaient ailleurs, parfois hors frontières, jamais dans les Corbières. À force, en moins de dix ans, mon inscription dans l’absence prit un tour indéniable et ceux de Verdier ne se donnaient plus la peine de me poser la question, ou plutôt Colette, Michèle me faisaient le mauvais sourcil lorsque revenaient l’été, le Banquet, tendres reproches, jusqu’à n’en plus parler. J’avais pourtant matière à me représenter ce qu’était ce rendez-vous autrement que par la voix de leurs instigateurs : le Net, l’archive, la fréquentation d’« auteurs maison » moins infidèles que je ne l’étais, et encore les cercles anonymes d’auditeurs assidus rencontrés au hasard de l’année. De quoi penser, rêver.

Agir.

M’y voici. Ce qu’il faudrait, ce n’est pas livrer ma première impression mais celle des 8 000 journées qui me séparent de l’été 1995 (8 030 en vérité, j’ai compté), un tapis d’années au cours desquelles je me suis forgé un imaginaire du Banquet, le mien – somme toute assez peu éloigné de sa véritable essence. J’étais à écouter la lecture de Serge Renko, samedi, les pages d’Entre ciel et terre, ici, à Lagrasse. Sur ma chaise, je me demandais si Jon Kalman Stefansson avait vu L’Homme d’Aran de Flaherty, s’il n’avait pas cherché à reprendre le point de vue de Flaherty en plaçant son lecteur dans la barque même, avec les hommes, les rameurs, plutôt que de montrer un équipage aux prises avec les avirons, de loin, depuis la falaise. Vu de loin, vue de près, comme ma présence au Banquet. Sur ma chaise, en plus de Serge Renko, de Stefansson, mot à mot, surtout, je m’enfonçais dans mon bienheureux retard. Vingt-deux Banquets perdus – une génération –, et comme aucun. La somme de tous se fondait à mes imaginaires, et l’inverse, ceux-ci s’ajustaient à la minute, comme si j’avais été de chaque Banquet, autrement, comme s’il eut fallu que ce soit ainsi.

Et pour que tout soit bien complet, j’irai demain sous les ifs de Rieux-en-Val.

Michel Jullien

 

Les interviews de la guinguette

Comme chaque année, Gilles Hanus a animé jeudi et vendredi dernier, juste avant le début du Banquet, un séminaire de philosophie autour du thème de l’année. Il revient ici sur cette expérience, comme il le fera ce matin, à 9 h 15 au café du Récantou, à la Porte d’eau. (Entretien Antoine Beauchamp / Lina Mariou)

Les livres des rêves

Depuis la nuit des temps littéraires, les hommes ont tenté d’imaginer les sociétés qu’ils étaient eux-mêmes incapables de bâtir. Même si, pour certaines, ce n’est pas plus mal, pour d’autres, la qualité des rêves, des inventions et des chimères leur ont fait traverser les âges. Nous vous en proposerons donc chaque jour, dans cette rubrique, quelques éclats. Aujourd’hui…

L’AN 01, de Gébé

 

Le Livre des rêves de ce jour est une fameuse bande dessinée, publiée entre 1970 et 1974 dans Politique Hebdo, Charlie Mensuel et Charlie-Hebdo. Créée par le dessinateur Gébé, inspirée du mouvement libertaire de Mai 68, elle raconte un monde utopique bâti collectivement sur le rejet de la propriété privée et du travail. Traversée par des préoccupations écologiques très en avance sur son temps, l’œuvre de Gébé est emblématique des aspirations d’une partie de cette génération qui avait du mal à se retrouver dans la rigueur du tout-politique de ce début des années soixante-dix.

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Le feuilleton de l'Iliade

Dominique Larroque-Laborde tient depuis hier matin son atelier de grec ancien, consacré cette année à la préparation de la lecture de l’Iliade, d’Homère, que des dizaines de lecteurs porteront en fin de Banquet, dans la nuit de vendredi à samedi… Chaque après-midi, Mélanie Traversier, elle, travaille en petits groupes avec ces lecteurs amateurs, répétant le texte, traquant les sens opportuns.

Antoine Beauchamp tient ici, en son seul, le feuilleton de cette aventure…

Hommage de l'auteur absent du Banquet...

L’absent, c’est un habitué du Banquet. Mais cette année, il n’est pas là. Pourquoi ? Et quel est l’état de son esprit en ce mois d’août 2017 ?…

Aujourd’hui, l’écrivain Olivier Rolin.

La dernière fois que je suis venu au Banquet du Livre, c’était en 2015, j’y avais prononcé une conférence dont le titre était « S’éloigner » (j’en avais gardé un souvenir un peu gêné, je la croyais mauvaise, hésitant entre la confession et la réflexion ; je viens de la relire, et je ne la trouve plus si mauvaise ; son hésitation même ne me déplaît pas, elle est toute marquée par le doute, qui est notre maison en ruines). Eh bien, je n’ai pas beaucoup avancé, j’en suis toujours là. La position de l’absent me convient assez. J’éprouve toujours une sensation d’éloignement croissant d’avec ce qui trame le contemporain. Cet éloignement, le temps me l’impose évidemment, mais il faudrait l’explorer, le comprendre, le critiquer (l’ironiser, si je puis risquer ce néologisme où l’ironie joue avec l’irisé qui est une qualité du style selon Barthes), le maîtriser pour le transformer en œuvre. Ce cheval sauvage du temps, il faut le dompter. Plus facile à dire qu’à faire, et pourtant il me semble que c’est ce que j’ai à faire.

C’est à ça que j’essaie de réfléchir. J’ai atteint un moment de la vie où l’on ressent le besoin d’une récapitulation (je n’ai pas dit d’une capitulation !). Rassurez-vous, je n’ai pas en tête de vous servir un jour une version rafraîchie (et rabougrie) des Mémoires d’outre-tombe… Mais il me semble qu’il devrait être possible d’inventer une forme moderne de mémoires, libérée du récit autocentré, reflétant plutôt l’éclatement et la dispersion d’une vie diffractée par les multiples facettes du monde : lieux, événements, autres vies. Chocs multiples, hasards, caramboles, trajectoire erratique. À cela devrait correspondre une forme proliférante, explosante-fixe, qui soit cependant une forme. Je ne sais où cette recherche me mènera, le plus probable étant que ce soit nulle part. Rien de plus intimidant, pour celui qui en conçoit le projet, qu’un livre qu’il n’a pas encore commencé d’écrire ; que dire alors d’un livre dont il n’a même pas encore clairement conçu le projet ?

J’espère, sans trop y croire, qu’au cours d’un prochain Banquet je viendrai vous lire des pages de cet écrit chimérique. Vous adresser ce petit message m’aura peut-être fait faire, qui sait ?, un demi-pas vers cet accomplissement. En attendant, je vous souhaite de mémorables journées au bord de l’Orbieu aux belles boucles.

Olivier Rolin

 

Variations sur l'action (4)

par Gilles Hanus

Dramaturgie de l’action

 

Dans Les mains sales, pièce quelque peu oubliée de Sartre, Hugo, parlant de ce qu’il a lui-même accompli, déclare :

« Un acte, ça va trop vite. Il sort de toi brusquement, et tu ne sais pas si c’est parce que tu l’as voulu, ou parce que tu n’as pas pu le retenir. »

C’est à nouveau le temps – celui de l’action cette fois – qui pose problème. L’instant où nous agissons est critique au sens ancien : crucial, susceptible de produire une chose et son contraire, de guérir ou de tuer. Sartre et ses personnages constatent que nos actes nous échappent avant même de s’accomplir pour se transformer en simples gestes. Un geste : l’esquisse d’un acte qui rate le dépassement du monde visé, comme un ballon qui se dégonflerait au moment même où les mains de l’enfant se refermeraient sur lui pour s’en saisir.

Là où la volonté présidant à l’acte vise une transformation réelle du monde, une translation efficace de la volonté de celui qui agit dans les choses, le geste ne produit qu’une perturbation de surface ; là où l’acte audacieux visait la nouveauté, le geste se révèle, rétrospectivement, prévisible et banal – amère expérience de la trahison de nos actes par eux-mêmes, épreuve d’une certaine inconsistance de soi.

Cette impuissance que la philosophie a toujours peiné à dire, elle qui procède de la puissance de l’intellect, le théâtre permet de la mettre en scène. Sartre l’a compris au stalag lorsque fut jouée la première de ses pièces : Bariona, ou le Fils du tonnerre. Il comprit alors la puissance de la forme théâtrale pour aller au-delà du concept :

« […] à cette occasion, comme je m’adressais à mes camarades par-dessus les feux de la rampe, leur parlant de leur condition de prisonniers, quand je les vis soudain si remarquablement silencieux et attentifs, je compris ce que le théâtre devait être : un grand phénomène collectif et religieux. »

Feuilleton : les révoltés de Counozouls

par Jacques Joulé

chapitre IV

 

Bouleversements en tous genres, séismes politiques et financiers partout dans le monde : l’heure est aux interrogations. On rêve, on pense, on agit. Tout redevient possible. Les peuples ne demandent plus, ils exigent ! Les répliques de la Révolution française font tomber des étagères les derniers bustes et oripeaux. En France, le char de l’État de la IIIe République tangue dans les tempêtes, la voix de Zola « accuse », celle de Hugo hurle des vérités dans les embruns de Guernesey. On brise l’épée de Dreyfus, l’Église et l’État se séparent dans la douleur ou la joie, c’est selon. Jules Ferry et ses « hussards noirs » commencent à semer dans les jeunes cerveaux les graines du savoir. Verlaine, Rimbaud, Baudelaire, Mallarmé ajoutent la poésie, Monet, Cézanne, Corot, la touche de couleur, Rossini et son barbier lissent les moustaches à Séville, Bizet brise les cœurs avec la belle Carmen, là-haut dans le ciel Clément Ader dans sa machine volante domine la situation, et Jules Verne décroche la Lune, lancé à bord de son obus Pullman… Ajoutons à tout cela l’Exposition universelle avec sa tour Eiffel en 1889, les Jeux olympiques de 1900, j’en passe, excusez du peu…

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L'image de fin, et à demain...

Dimanche, 17 h 30 : Yann Potin à la criée...
9 h
Marcher dans la garrigue avec Catie Lépagnole, rendez-vous à l’abbaye
9 h 15
Rebonds (9h15 / 9h45), débat avec Gilles Hanus, au café Le Récantou, Porte d’eau
10 h
Atelier grec, lecture de l’Iliade, école du village
10 h
CYCLE VIDEO ARCHIVES DU BANQUET
10 h : Conférence , Annie Ernaux, « Écrire la pente », 8 Août 2007 (44’) ////////////////// 12 h : Conférence, Paul Audi, L’exil intérieur de Romain Gary, 9 mai 2009 (94’)
15 h : Lecture. Carnets, de Pierre Bergounioux, lu par Jean-Baptiste Harang, 14 août 2006 (35’)
boulangerie des moines

11 h
Hommage à Armand Gatti. Portrait filmé par son fils Stéphane. Boulangerie des moines, à l’abbaye
12 h 30
Patrick Boucheron, histoire mondiale de Lagrasse, Place de la halle
16 h 00
Jean-François Delfraissy, Conférence, Jardins de l’abbaye
17 h 30
Le Livre à la criée, Françoise Valon, librairie du Banquet
18 h 00
René Lévy, Conférence, Jardins de l’abbaye
21h30
Lecture : Emmanuel Adely, Jardins de l’abbaye

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Pierre Caye : "Pourquoi y a-t-il de l'agir, plutôt que rien ?"...

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