Été 2020 : torons et accolures 1

Depuis vingt-cinq ans qu’il se tient à Lagrasse, le Banquet du Livre d’été a toujours été une affaire de fil.
Celui d’abord que nous avons tendu entre Jérusalem et Athènes, entre la lettre carrée et les traditions philosophiques de la Grèce antique. Celui ensuite que nous avons tenté de nouer entre des disciplines qui se sont souvent ignorées, des écrivains, des chercheurs qui ne se connaissaient pas encore, là où leurs travaux les rapprochaient pourtant.
On l’a dit souvent, un Banquet réussi, c’est un Banquet où, pendant une semaine, courent ces fils invisibles, des uns aux autres, poussant chacun plus loin sur les sentiers escarpés de la pensée.
Cette année 2020 était annoncée comme celle où nous perdrions le fil : comme les autres, nous avons passé deux mois à buter sur un monde sans visages, celui des autres, tenus éloignés, masqués comme jamais. Et il apparut vite que nous ne pourrions pas tenir notre Banquet d’été. Comment imaginer sans risques la chaleureuse promiscuité des ateliers, ou les rassemblements du grand chapiteau ? On a beau toujours citer ce chiffre magique, soi-disant rassurant de 5000 personnes, il fallait se rendre à l’évidence : nous ne pouvions pas prendre le risque de convoquer notre modeste foule, avec ses six cent âmes serrées sous la grande tente… Alors que faire ? Passer son tour ? Passer l’année, comme tant d’autres l’ont fait ?
Nous n’avons pas voulu nous y résigner. Le risque était trop grand de perdre le fil. Et le premier projet de l’épidémie semblait bien être celui-là.
Nous avons donc tenu, entre le 4 et le 14 août, un cycle de rencontres en plein air. Les intervenants, généreux, se sont attachés, tous, à donner à ces moments singuliers un caractère exceptionnel. C’était étrange, ça n’avait rien à voir avec le Banquet traditionnel, et pourtant tout était là : la proximité, l’ambition, la simplicité, l’exigence.
Il y eut des rencontres d’une incroyable matière, fortes et troublantes, la révélation de personnages inattendus, des surprises et des découvertes, il y eut la magie profonde du cinéma aux étoiles, l’aimable chanson des rues et des places du village qui nous enveloppaient, les poèmes qui rebondissaient sur l’eau de l’Orbieu, comme des cailloux plats lancés par les pères maladroits. Il y eut surtout un fil surprenant et multicolore entre les lieux et les personnes.
Vous l’apercevrez sûrement, si vous êtes attentifs, dans cette succession d’enregistrements vidéo. Tout ou presque est ici, coincé dans une image unique qui manque singulièrement d’autres dimensions. Mais la parole est là. Celle des rencontres et des conférences. L’autre, plus fugace, plus ambulatoire des rendez-vous de midi, celle de Patrick Boucheron, de Yann Potin et de Jacques Bonnaffé, entre la rivière et les quatre coins du village, entre la poésie et l’histoire, elle ne rentrait décidément pas dans le cadre. Elle nous a permis, pourtant, de retrouver la magie et la chaleur des premiers Banquets. D’y reconnaître ce fameux fil, indestructible, qui nous lie les uns aux autres, et qui faisait que nous étions là…

1) L’accolure est un lien qui sert à attacher les vignes, les arbres, ou les rondins d’un radeau. Le toron est un lien tissé pour former câble, celui d’une ancre par exemple. On n’a pas choisi ces mots pour faire l’intéressant. Simplement parce qu’ils existent, et qu’ils sont beaux.

 

Lire, Lier, du 4 au 14 août 2020

Avec Eva Baltasar, Romain Bertrand, François Bon, Jacques Bonnaffé, Patrick Boucheron, Dima El Horr, Stéphane Habib, Jean-Baptiste Harang, Michel Jullien, Antoine Lilti, Nastassja Martin, Marielle Macé, Jean-Claude Milner, Yann Potin, Mathieu Potte-Bonneville, Christophe Pradeau, Barbara Stiegler, Mélanie Traversier. Retrouvez tout le programme.

Numéros précédents

Corbières-Matin n°118, du vendredi 14 août 2020
Corbières-Matin n°117, du jeudi 13 août 2020
Corbières-Matin n°116, du mercredi 12 août 2020
Corbières-Matin n°115, du mardi 11 août 2020
Corbières-Matin n°114, du lundi 10 août 2020
Corbières-Matin n°113, du dimanche 9 août 2020
Corbières-Matin n°112, du samedi 8 août 2020
Corbières-Matin n°111, du vendredi 7 août 2020
Corbières-Matin n°110, du jeudi 6 août 2020
Corbières-Matin n°109, du mercredi 5 août 2020
Corbières-Matin n°108, du mardi 4 août 2020
Toutes les archives de Corbières-Matin

Soirée d’ouverture pendant la nuit du 4 août. Yann Potin et Patrick Boucheron.

Romain Bertrand nous a proposé le feuilleton de l’été, le récit d’un incroyable procès, aux Philippines, à la fin du seizième siècle. (épisode 3)

Nastassja Martin dialogue avec Yann Potin. Bien loin de l’image de lutteuse d’ours imposée par les médias, l’engagement d’une anthropologue sur le terrain.

Dénicheur d’oursons, par Jean-Baptiste Harang, interrogé par Jean-Michel Mariou.

Christophe Pradeau déambule dans quelques lieux littéraires. Dans quelques lieux, dans quelques livres.

Jean-Claude Milner : L’éternel retour de la France éternelle.

Romain Bertrand nous a proposé le feuilleton de l’été, le récit d’un incroyable procès, aux Philippines, à la fin du seizième siècle. (épisode 1)

Romain Bertrand nous a proposé le feuilleton de l’été, le récit d’un incroyable procès, aux Philippines, à la fin du seizième siècle. (épisode 4)

Michel Jullien, accompagné de Laurence Biaunié lit des extraits d’un texte à paraître, La corde des extases.

La jeune écrivaine Eva Baltasar, dont le premier roman, Permafrost, parait cette fin d’été aux éditions Verdier, est interrogée par son éditrice catalane Maria Bohigas, et par Domenge Blanc.

Antoine Lilti, Voltaire et l’esprit des Lumières.

Mélanie Traversier, Relire, Revenir.

Romain Bertrand nous a proposé le feuilleton de l’été, le récit d’un incroyable procès, aux Philippines, à la fin du seizième siècle. (épisode 2)

Marielle Macé et les oiseaux. Attachés à ce qui tombe.

Le préhistorien François Bon, Je vous parle d’un continent lointain, avec le comédien Christophe Brault.

Barbara Stiegler lit quelques extraits de son nouveau livre, Du cap aux grèves, Récit d’une mobilisation. 17 novembre 2018 – 17 mars 2020 aux éditions Verdier.

Mathieu Potte-Bonneville et Stéphane Habib : Lire l’avenir, lire les signes. Une conversation entre philosophie et psychanalyse

 

Dans une série d’interventions poétiques hélas non enregistrées (il bouge trop !), à Lagrasse ou dans l’étonnante Coop’Art de Serviès-en-Val, le comédien Jacques Bonnaffé a apporté sa fantaisie et sa passion littéraire à ces rencontres avec une impeccable générosité.