Ces livres sont nos témoins

Jacques Joulé

 

 

 

Jacques Joulé vit à Lagrasse depuis cinquante ans. Il a été cuisinier la plus grande partie de sa vie, il a tenu avec sa femme Dolorès le café-restaurant de La Promenade pendant trente ans, puis l’a transformé en épicerie (La Lagrassienne, qui existe toujours). Il s’est enfin « replié » sur la brocante qu’il tient encore juste à côté. Les vieux objets, les vieux meubles, les vieux livres, ce monde riche et oublié est sa seconde passion. C’est aussi un compagnon du Banquet du Livre depuis les premières heures…
On le voit ici se concentrer juste avant sa lecture lors de la Nuit de L’Iliade (2017)

 

 

 

Lecture du Quichotte, août 1998

23 h 50. J’ai quitté mon restaurant, le confort de ma cuisine et mon four encore tiède pour rejoindre les relayeurs de la lecture du Quichotte qui a commencé à midi et qui doit se dérouler toute la nuit. Dans la partie que je dois lire, point d’aventures, ni de fait de chevalerie, ni de moulin à combattre. Il commence à faire froid, même si l’on est au mois d’août ! les thermos de café et de thé circulent au moment où je commence mon texte :

Chapitre IV, où l’on raconte ce qu’on y lira :

« Il était tout juste minuit, ou à peu près. Il régnait dans le village un profond silence car tous les habitants étaient couchés et dormaient comme des souches. De temps en temps un aboiement de chien, ou un miaulement de chat …. »

En prime, ici, dans le petit cloître de Lagrasse, quelques ronflements !…

Voilà ! Une fois mon texte lu, quelques applaudissements mal nourris suffisent à mon bonheur de modeste lecteur de cette œuvre littéraire immense.

 

La nuit de L’Iliade, août 2017

Participer à ce projet me paraissait, en ce qui me concerne, impossible.  Pourtant, poussé par l’enthousiasme des uns et des autres, j’ai fini par accepter. Le soir de la lecture chacun essaye de se trouver un moment d’isolement, la pression monte, mes amis me rassurent : tout va bien se passer, c’est pas trop difficile (non, bien sûr, c’est juste L’Iliade, rien de plus !)

J’ai failli partir plusieurs fois, au pied du podium impossible de reculer, ma feuille de texte tremblotante à la main, je murmure mon texte…

C’est fini, le cardio à 130 pulsations je rejoins le public.

Le lendemain à midi, explosion de joie, on l’a fait !

On recommence quand ?

 

Bartleby, d’Hermann Melville, août 2010

Lue par Daniel Pennac, dans les ombres du petit cloître, cette extraordinaire nouvelle, à lire, relire, écouter.

« Je préférerais ne pas le faire ! » répond Bartleby au notaire, qui lui demande un travail. Et tout d’un coup, alors que tout paraissait normal, chacun a sa place, l’ordre des choses est bousculé, plus rien ne sera plus comme avant.

 

La Retirada, août 2021

Cinéma aux étoiles, et la projection du film d’animation « JOSEP », d’Aurel, en présence du réalisateur et du producteur, Serge Lalou. Un film bouleversant sur l’exode espagnol de 1939, des larmes, de la colère…

Ces livres sont nos témoins

Véronica Barsony

 

 

 

Véronica Barsony est une habituée du Banquet du Livre depuis son origine (au Banquet).
« Après des études brillantes, elle s’espatare… Puis, sous les bons auspices de Lucien Bonafé et de François Tosquelles, elle déconne pendant 20 ans avec des enfants handicapés. (Déconniatrie : néologisme inventé par Tosquelles. « Il faut déconner, disait-il, c’est très important pour aller titiller l’autre. Déconner est un affaire sérieuse. ») »

 

Zakhor, je me souviens

La nuit au milieu de l’abbaye, sur une estrade éclairée, Benny Lévy, Jean-Claude Milner et Christian Jambet. Le bruit des graviers sous les chaises. Benny Lévy cantilait sous la lune, Milner et Jambet lisaient leurs feuillets. Soudain, panne de lumière, la nuit noire. Jambet ne voit plus rien et arrête sa lecture. Alors, la voix qui cantilait s’élève, railleuse : « Contrairement à mes camarades, je peux continuer à parler dans le noir, je n’ai pas de notes… »

J’ai acheté le Livre des Égarés.

 

Je me souviens du Banquet des plaisirs (1996)

Le rugby, la pétanque, Platon, le vin, la cuisine… mais « Où sont les femmes ? » comme chantait notre guide Patrick Juvet ?

J’ai réécouté toute l’oeuvre de Dalida en lisant Virginia Woolf.

 

Ricordo…

Je me souviens de l’attente de l’arrivée de Milner, que porterait l’Homo Sapeur ? Son habituel costume de lin crème, chapeau assorti cerclé de noir, ou une chemise ciel bleu… La dernière fois que je l’ai vu, il portait une veste tabac clair, pantalon désassorti bien assorti, chaussettes dans les tons – ou sépia, je ne sais pas ? Et des pompes bicolores… La Distinction ! Quel sapeur, quel penseur… Pourquoi ai-je pensé qu’il portait sur sa peau un Marcel ?…

Je me suis remise à la Recherche.

 

Je me souviens

Jean-Marc appelé en urgence par Bobillier, pour soulager un pied, quel pied, de qui, à qui ?… Le lendemain, il reçoit L’Équipée Malaise dédicacé de la main de l’homme qui n’avait plus mal au pied… Echenoz ! Depuis, il a lu tous ses livres.