Samedi 14 août 2021

Au futur du verbe faire

Le premier Banquet du Livre de Lagrasse, en 1995, dura treize jours. Treize jours et treize nuits à courir de l’abbaye à l’école, de l’ancienne cave coopérative à la rivière. On ignorait quel livre on était en train d’ouvrir. Dans l’école communale trônait la première machine française à impression numérique. Toute la nuit, elle roulait le journal du lendemain. Les lagrassiens venaient nous visiter, après le souper, et ils nous montraient dans la pièce à quel endroit ils étaient assis, en CM2. Les conférences de rédaction, joyeuses, se tenaient dans la classe de Monsieur Horville.
Il est bien entendu qu’en général, la nostalgie consiste à fouiller dans ses propres poubelles. Annonçons donc solennellement que ces souvenirs sont pour demain : une liste de promesses à tenir.
D’abord les ateliers. D’écriture, de théâtre, de lecture, de vidéo, de rivière, de philosophie, de civilisation grecque, de Tifinagh sur sable, toutes ces matinées studieuses à partager, année après année. On n’oubliera pas celles et ceux qui leur donnèrent une telle âme.
En 1997, la première diffusion de Corbières-Matin sur internet ! On ne comprenait pas trop ce que ça voulait dire, mais on était très fiers : on nous disait qu’à Hong Kong ou à San Francisco, on pouvait nous lire chaque matin !
La lecture du Quichotte, qui dura vingt-quatre heures de midi à midi (1998), portée par une cinquantaine de comédiens, d’écrivains et d’habitants de Lagrasse qui se relayèrent pour faire vivre, ensemble, cette conspiration de lecture. Au cœur de la nuit, les lecteurs entendaient le souffle de la poignée d’irréductibles réfugiés dans des duvets, sur la pierre des couverts. Et l’on avait cette certitude, en considérant le village endormi, que ce n’était pas rien de préserver le texte, par-dessus le silence d’une communauté humaine au repos.
Toutes les autres lectures merveilleuses inscrites dans la nuit du petit cloître. Pierre Dumayet, Jean Echenoz, Pierre Michon, François Bon, René Depestre, Olivier Rolin, Antoine Volodine, Eugenio de Signoribus, Jean-Yves Masson, Maurice Nadeau, Pascal Quignard, Didier Daeninckx, Michèle Desbordes, Jean-Baptiste Harang, Daniel Pennac. Une année, pour cause de succès, on dut passer au grand chapiteau extérieur. Une peine.
Manuel Vasquez Montalban, arrivant à pied à l’abbaye, cinq minutes avant l’heure de sa conférence, alors qu’on était sans nouvelles de lui depuis un mois.
La haute parole de Rav Eliahou Abitbol (2008). Sidérant de profondeur, d’exigence, déployant une pensée coupante en perpétuelle disquisition, il avait laissé pantois et troublé un public abasourdi.
Cette nuit d’été de 2007, où une poignée de sales types, cathos intégristes et bornés, sont venus détruire à coup de bidons de mazout et d’huile de vidange trois mille ouvrages dans notre librairie en passant par une fenêtre. Détruire des livres, comme une prière morte.
Le jour où on installa la nôtre, de librairie ! Elle émet depuis toute l’année (comme on disait des radios libres). Ce premier matin où l’on alluma les lumières sur les tables et les étagères.
L’arrivée de Patrick Boucheron pour les premières conversations sur l’histoire, sous les arbres mêmes où il conclut hier les passages de témoin. Puis Mathieu Riboulet, Yann Potin, Marielle Macé, Mathieu Potte-Bonneville. Et cette soirée de 2015, en clôture du Banquet, où Patrick annonça avec Mathieu Riboulet, dans un bouleversant duo, qu’ils engageaient à Lagrasse leurs projets pour l’avenir.
Les bains de minuit et de beaucoup plus tard dans l’Orbieu, quand on a tant parlé et tant bu, et qu’un voile frais d’enfance nous enveloppe soudain.
Le bruit du vent sous le chapiteau, quand les haubans claquent, et que l’on pense aux tempêtes, à Ismaël, à Moby Dick.
L’exposition sur les 40 ans de Verdier. On mesurait brusquement l’ampleur du récit du catalogue, cette œuvre impressionnante ; et ces images muettes de Bob, battant les cartes, perdu dans une interminable réussite.
Gérard Bobillier, Mathieu Riboulet, Philippe Rochette, Bernard Simeone.
Et l’on sera, joyeux, attentifs à tout ce qui va suivre…

Dès dimanche soir, toutes les rencontres et les conférences seront disponibles en lignes sur corbieres-matin.fr

Quelques destins

Des parcours de vie d’Audois, perdus dans les replis de l’histoire.

Pour finir, nous vous proposons de nouveaux fragments furtifs, des bouts de vie entraperçues dans les pages du Courrier de l’Aude, au cours de l’année 1892…
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Dima, quelle jeunesse !

La réalisatrice franco-libannaise Dima El Horr, familière du Banquet, nous a offert pendant une semaine quelques souvenirs de livres et de lectures pendant son adolescence. « Une jeunesse et la guerre » a semé ici quelques magnifiques moments de tendresse et de violence. C’est ça, d’être adolescente à Beyrouth pendant la guerre civile…
Retrouvez les cinq petits films de Dima

Parcours de lecture

Parmi les grandes lectures qui ont marqué, depuis vingt-cinq ans, les nuits profondes ou les aimables après-midi du Banquet, il y eut ce parcours.
Le 8 août 2010, dans le cadre du Banquet intitulé « Contre la gestion politique du tous, le souci du chaque-un« , la lecture de Pascal Quignard était dédiée à Bob, Gérard Bobillier, inventeur du Banquet et des éditions Verdier, disparu quelques mois plus tôt. (L’image est déchirée ou figée pendant la première minute ; après, ça s’arrange, contrairement à la vie et aux jours.)

numéro 127

« Écrivons, nom d’un pétard ! Ficelons nos phrases, serrons-les comme des andouilles et des carottes de tabac. Masturbons le vieil art jusque dans le plus profond de ses jointures. Il faut que tout en pète, monsieur.« 

Gustave Flaubert, lettre à Ernest Feydeau, décembre 1958

Sur le chemin des arts de lire

Dès le début de l’année prochaine, à l’enseigne des Arts de Lire, un Centre Culturel de Rencontres va prendre le relais, dans l’abbaye publique, de la Maison du Banquet et des générations. Pour commencer à défricher quelques uns des chemins possibles qui s’ouvrent devant nous, Le Marque-Page a organisé, au printemps dernier, un colloque avec les meilleurs spécialistes. Retrouvez leurs contributions sur les quatre thèmes abordés, « Histoire et lecture du bâtiment de l’abbaye bénédictine de lagrasse ; Lecture des images du Moyen-Âge ; L’étude hébraïque à Narbonne au Moyen-Âge ; Les nouvelles scènes de la lecture.   Cliquez ici.