Jeudi 11 août 2022

 

 

« Il n’y a plus de lézards verts, ils se sont tous fait bouffer par les geckos. Du coup, on ne voit plus que des geckos. Du coup, comme les geckos mangent les scorpions, il n’y a plus de scorpions. Du coup !… »

On est bien obligés de se rendre à cette évidence : les petits scorpions noirs qui hantaient chaque été la fraîcheur de nos maisons et les cauchemars de nos enfants ont tout à fait disparus (voir plus haut…). C’était au siècle dernier. Et dans la catégorie des nuisances urticantes, les scorpions ont été remplacés par les scolopendres. Ils sont plus discrets, mais leur piqûre est beaucoup plus douloureuse…

À propos d’urticaire, j’ai croisé hier un lecteur fidèle de Corbières-Matin, qui me parlait des numéros de l’hiver dernier : « Au fait, et les chanoines, qu’est-ce qu’ils deviennent ? » Rien de mieux. Ils continuent d’héberger les mouvements de jeunesse et familiaux les plus réacs de France, et ils viennent de terminer la construction, sur la colline juste au-dessus de l’abbaye, d’un immense parking pour lequel l’architecte des Bâtiments de France avait rendu, l’an dernier, un avis défavorable. Leur technique reste inchangée : nos ordres, nous les recevons directement du Royaume. Le seigneur nous a dit : « Tu construiras un parking pour mes ouailles ». Après, si la République rechigne à homologuer ces instructions, que ses représentants s’adressent directement à notre Maître d’œuvre, là-haut, dans le ciel…

Samedi dernier, les Chanoines ont organisé, dans l’église du village, une nuit de prières et de chants. L’affiche annonçait que les fidèles allaient se relayer toute la nuit pour faire monter jusqu’au patron louanges et prières, mandements et postulations. Pourtant, sur le coup de 23 heures, lorsque je suis rentré de Serviès où se déroulait notre soirée de lectures, je suis tombé sur deux ou trois prémontrés neurasthéniques qui fermaient précocement l’église en traînant des socques. Manifestement, la nuit avait tourné court.

Il y a quinze jours, l’architecte des Bâtiments de France est revenu dans le village. Devant le mur rutilant du parking interdit, il a sursauté vivement, avant de dresser procès-verbal. On ignore à quelle adresse exactement il l’a envoyé…

À la fin du mois de mai, nous avions réuni, pour le Banquet de Printemps, plusieurs chercheurs et spécialistes pour continuer à réfléchir sur certains aspects des Arts de Lire. Jean-Louis Schlegel, philosophe, éditeur et sociologue des religions, ancien directeur de la revue Esprit, auteur avec Danièle Hervieu-Léger de Vers l’implosion ? Entretiens sur le présent et l’avenir du catholicisme (Seuil, 2022) dressa un sévère et passionnant panorama de l’état actuel de l’église de France. Il raconta qu’aujourd’hui, dans notre pays, quand 100 prêtres sont ordonnés chaque année, un quart – 25 – sont de mouvance traditionaliste. Tous les silences de l’église (absolution de Paul Touvier et organisation de sa clandestinité pendant trente ans, affaires de pédocriminalité étouffées – mais aussi de façon locale attentat contre le Banquet en 2007), ont provoqué un refondement de l’institution catholique dans ses extrémismes, et dans le sectarisme de petits groupes identitaires.

Aujourd’hui, ce ne sont pas les anciens gauchistes vieillissants à l’origine du Marque-Page qui intéressent nos gris chanoines. Ils savent que si tout va bien, ils auront dès demain, de l’autre côté du mur, une institution publique puissante et structurée. Une autre paire de manches. Ils savent aussi que c’est là leur vrai combat, leur vraie cible : la République et ses ambitions. À nous tous de ne pas oublier de serrer les rangs.

Reste cette phrase de Cervantès, dans Les Nouvelles exemplaires, (1613) : « Défie-toi du bœuf par devant, de la mule par derrière, et du moine de tous les côtés. »

 

 

Jean-Michel Mariou

 

P.S. J’ai appris hier soir la mort de Marthe Bernad, une femme de banc, toujours assise à l’entrée de la rue du Consulat, devant sa maison. Le soir, vers 18 heures, elle montait s’assoir sur un autre banc, pas loin de la boulangerie. Là, elle regardait passer les gens, et elle lisait des livres. Beaucoup de livres. Elle avait une curiosité très grande, et passait d’un genre à l’autre sans se gêner. Elle était surtout d’une gentillesse remarquable. Elle m’avait confié sa recette de sanglier à la tomate. J’ai décidé ce soir d’en faire un dans les prochains jours, pour la saluer. Hier soir, sur la crête de Cagalière, au dessus de Lagrasse, la lune rousse, toute ronde, ressemblait à une merveille. Une oreillette, pleine de sucre, comme celles que Marthe confectionnait par dizaines à la moindre occasion festive, pour faire plaisir aux voisins, aux amis. Elle va nous manquer, à nous les lagrassiens de l’hiver, qui sommes si peu nombreux. Je penserai à elle chaque jour, en passant devant son banc…