Joseph Compta, le défroqué de la République

Joseph Valent Compta est né le 13 mai 1749 à Prades, dans les Pyrénées catalanes, dans une famille bourgeoise. Son père est viguier du Conflent et du Capcir, c’est à dire qu’il est le seul juge pour toute cette région, et qu’il préside les conseils des communes.
Il a cinq enfants, Joseph Valent est le dernier. Comme le veut alors l’usage pour les benjamins, il est placé comme sacristain mineur à l’abbaye de St Michel de Cuxa, près de son village natal.

L’abbaye de Saint Michel de Cuxa

On ignore à quel moment et pour quelles raisons Joseph Compta s’installe finalement à Sigean, moins de 100 kilomètres plus au nord. Il se pourrait bien que les mésaventures de son père l’aient incité à changer d’air : François Xavier Compte y Bordes voit sa maison de Prades envahie par des émeutiers le 27 juillet 1789. Les archives de la viguerie sont en partie détruites, et il doit prendre la fuite. On peut imaginer que son fils ait profité de l’occasion pour s’éloigner, et qu’il s’installa à Sigean. Toujours est-il que c’est là, le 27 octobre 1790, qu’il avise les autorités compétentes qu’il « n’entend plus vivre sous le régime monastique » et qu’il « entend jouir à jamais des droits de citoyens ainsi qu’il est porté par les décrets. »
Son destin, c’est désormais la Révolution. Il devient, selon le jugement du Chanoine Sabarthès, un « moine apostat instigateur ».
Il participe activement à la création de la « société populaire », club patriotique local. Il est d’abord chargé, par l’assemblée des citoyens qui se réunissait dans l’ancienne église des Pénitents, de résoudre, avec quelques autres personnalités, la question de la propriété nouvelle des salins du littoral.
Le 14 novembre 1791, au cours d’une séance longue et houleuse, 121 citoyens actifs de Sigean procèdent, au vote censitaire, à la désignation d’un maire, des officiers municipaux, et d’un procureur. Joseph Compta est finalement élu pour remplir cette dernière charge. Il récupère tous les dossiers de la commune en archive, et commence à les consulter. Il travaille aussi sur les nombreuses lois qui arrivent chaque jour, balisant les chemins nouveaux de la Révolution.
43 actes et interventions sont notés à son actif dans les registres de délibérations de cette année 1792, si cruciale pour la Révolution. Outre la création du club patriotique, il traite aussi des incidents opposant la nouvelle municipalité aux membres et aux soutiens de l’ancienne, des différents entre la ville de Narbonne et celle de Sigean à propos du port de La Nouvelle, de la déclaration de la patrie en danger et de la défense des assignats. Cette question des assignats occupe une bonne part des colères populaires. Compta prend leur défense, et reste attentif à ce que rien ne dérape.
Mais c’est bien évidemment sur la question des curés inassermentés que certains l’attendent. Compta se montre intraitable. Il fait arrêter tous les curés qui ont refusé de prêter serment. Le curé Tient, de Canet, se retrouve ainsi le 6 mai enfermé à l’intérieur de l’église paroissiale par une foule considérable. Les membres du corps ecclésiastique qui n’ont pas prêté le serment constitutionnel ou qui se sont rétractés, comme le curé Montredon, sont considérés comme des contre-révolutionnaires. Le peuple, qui craint plus que tout un retour à l’ordre ancien, et pour qui le clergé était un des grands bénéficiaires de l’ancien régime, est particulièrement remonté et vigilant.

Le village de Sigean

Cette année-là, sur un plan plus personnel, Joseph Valent épouse à 42 ans, le 26 novembre, Geneviève Francès qui en a 27, et qui est la fille de son ami et allié Alexis Francès, le nouveau maire de Sigean. La cérémonie civile est régie par une nouvelle loi qui ne date que de deux mois.
Quinze jours plus tôt, il était à Lagrasse.
Dans l’abbaye, d’où l’on a chassé les moines bénédictins, on procède en effet aux élections du Directoire du Département. Plusieurs centaines de délégués des différents cantons audois ont envahi le village et l’abbaye. On ignore tout des problèmes de stationnement qui ont dû se poser, mais il est vraisemblable que les calèches, les tilburys, les diligences et les fiacres ont eu du mal à tous trouver leur place.
C’est un ecclésiastique, l’abbé Robert, qui est élu président de séance, et qui est responsable du bon déroulé de l’ensemble des scrutins. Pour l’instant, il est surtout comptable du brouhaha incessant et de la pagaille qui troublent les débats et rendent impossible le moindre vote. La première journée s’y épuise. Où donc ont dormi tous ces gens-là ? On l’ignore. Ce n’est que le lendemain matin que l’on peut enfin enregistrer l’élection du premier membre du directoire du Département de l’Aude. Le citoyen Rey ainé obtient 157 suffrages sur 291 votants. Chaque district bataille pour être mieux représenté que les autres, et les tractations et les marchandages vont bon train dans les couloirs de l’abbaye, qui n’avaient jamais connu une telle effervescence.
Le lundi 12 novembre dans l’après-midi, 312 électeurs participent au nouveau scrutin. Le deuxième délégué est élu avec 149 voix. C’est Joseph Valent Compta, qui rentre ainsi dans la grande histoire des seconds.
Cette charge, il va l’accomplir, au sein du Directoire, avec une détermination sans faille, ce qui lui vaudra, quelques mois plus tard, d’être nommé à un poste très important : il devient l’adjoint du Représentant du Peuple en mission Chaudron-Rousseau, pour faire appliquer dans tous les département du sud compris entre Bayonne et Perpignan les décisions de la Convention et du Comité de Salut Public, jusqu’à la chute de Robespierre et de Saint-Just.

Carte du nouveau département de l’Aude, 1794

Juste avant, pendant toute l’année 1793, Joseph Valent travaille au comité civil et militaire de Narbonne, à préparer la population à défendre ses frontières. Les ennemis de la France, appuyés par les exilés, sont à nos portes. Recrutement, protection des côtes audoises, concentration des troupes, approvisionnement, la tâche ne manque pas, si près de la frontière espagnole.
Le comité accélère la fourniture des boulets nécessaires aux redoutes de la Franqui et de la Nouvelle. Les représentants de la Convention, réunis à Sigean le 20 septembre, demandent au département de fournir 6000 capotes, 2000 chemises, 5000 paires de souliers, 500 couvertures, 10 000 paires de bas, 3000 habits, 3000 vestes et 6000 culottes. Une partie de ce matériel sera confectionné par certains habitants du canton, en utilisant notamment la production de la tannerie située le long du ruisseau du Pla. Compta se démène corps et âme, sans toujours éviter les attaques que ses ennemis continuent à fourbir contre lui.
Il est donc nommé à la suite à Toulouse, auprès du Représentant du Peuple Chaudron-Rousseau. Mais en juillet 1795, un an après la chute de la Montagne et la destitution de tous les révolutionnaires fidèles à Robespierre et à Saint-Just, l’histoire rattrape Compta. Même s’il faut du temps, y compris pour les règlements de compte, pour aller de Paris aux rivages audois.
Le 17 messidor (5 juillet 1795), le nouveau Conseil général de Sigean est installé. Parmi les officiers municipaux, on trouve les noms de ses principaux ennemis. Tallavignes, Ducasse, Ferrier, Campagnac, ils sont tous là et se réjouissent de l’arrestation, survenue six jours plus tôt, de Joseph Compta, pour avoir « participé aux horreurs commises sous la tyrannie qui a précédé le 9 thermidor ». La terreur se paye, dans l’Aude comme ailleurs. On ignore tout du jugement et de sa condamnation. Ni du lieu où il partit se faire oublier. À peine apprenons-nous que quelques années plus tard, lorsque sa fille épouse Jean François Melchior Pech de Lom, officier d’infanterie, il est absent de Sigean et se fait représenter par sa femme, selon procuration délivrée auprès d’un notaire de Marseille. Compta s’exila-t-il là-bas ? C’est probable, les grandes villes vous protègent plus sûrement que les bourgs.
Quoi qu’il en soit, il revint mourir à Sigean, le 16 juin 1822, à l’âge de 73 ans.

 

 

 

 

Sources : « Joseph Valent Compta, ex-moine révolutionnaire à Sigean », Jacky Mourrut, Archives Départementales de l’Aude (cote 2 J 432)