Ces livres sont nos témoins

Palmyre Bouzat

 

 

 

Passionnée de lecture, de philosophie, d’étude des textes, de la langue hébraïque et de traduction, Palmyre Bouzat participe au Banquet du Livre d’été et aux ateliers de philosophie de Françoise Valon depuis 2010 ainsi qu’aux séminaires de Gilles Hanus de 2011 à 2019.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le Logos et la Lettre, Benny Lévy, Verdier, 1988

Banquet 2010 – C’est la première fois qui compte ! Le Logos et la lettre confrontant la lecture de la Bible par Philon d’Alexandrie et celle des Pharisiens m’a ouvert la possibilité de découvrir Benny Lévy et d’entrer dans sa pensée. Par la suite ses ouvrages, son enseignement, la puissance de sa parole, sa lecture vivante des textes, ses commentaires et sa voix m’ont particulièrement marquée.
J’ai eu la chance à l’occasion du 10e anniversaire de sa mort en 2013, de pouvoir participer à la journée qui lui été consacrée au Musée du Judaïsme à Paris. A cette occasion, Léo Lévy présentait son ouvrage, A la vie, récit simple et touchant de celle qui l’a accompagné tout au long de ses pérégrinations. De nombreux témoignages et films documentaires dont un extrait de L’Alcibiade, Introduction à la lecture de Platon par Benny Lévy ont jalonné cet événement. J’en garde un souvenir intense !

 

L’un et l’universelLire Levinas avec Benny Lévy, Gille Hanus, Verdier, 2007

« Que la philosophie implique autre chose qu’elle-même, voilà ce qu’il est, semble-t-il, difficile d’admettre. C’est pourtant là que réside toute la tension de la pensée lévinassienne »
Banquet 2011 – Ce livre a été le premier que j’ai lu. Il marque le début d’un parcours d’étude avec Gilles Hanus à l’intérieur des séminaires de philosophie précédant chaque Banquet.
Embarqués dans une aventure collective, nous avons eu la possibilité de nous plonger ensemble dans des textes difficiles. Comme un lieu de travail, d’étude dans l’espace public. Déranger ses habitudes pour faire naître la pensée, inventer une autre manière de penser, étudier les textes comme cœur de l’existence. Gilles Hanus a ouvert la voie à une communauté d’étude inspirante.

 

Une langue venue d’ailleurs, Akira Mizubayashi, Gallimard, 2011

« Je suis un étranger ici et là et je le demeure. »
Dans cet ouvrage autobiographique, l’auteur, japonais, passionné de Rousseau raconte son apprentissage du français qui deviendra l’expérience d’une seconde naissance. Il nous livre à l’intérieur de ce livre un espace de double « étrangéité » et d’une permanente recherche.
Cette même année à Lagrasse, sa conférence « L’île du bonheur entre le français et le japonais » a été d’autant plus forte que l’accident nucléaire de Fukushima venait de se produire le 11 mars 2011. Dans le petit cloître, Akira Mizubayashi est revenue sur cette catastrophe qui lui a permis de revisiter les chefs d’œuvres du réalisateur Kurosawa pour qui dit-il, il a toujours eu une profonde admiration.

 

Écrits autobiographiques, Walter Benjamin, Christian Bourgeois, 1994

« On ne devrait tout de même pas mettre son plus mauvais costume pour voyager, car voyager est un acte culturel international : on sort de son existence privée pour paraître en public. – J’ai lu durant le voyage Anna Karénine : voyager et lire – une existence à mi-chemin de deux nouvelles réalités instructives et fertiles en miracles »
La lecture de ces écrits m’a accompagnée durant le Banquet 2017 et aujourd’hui encore. Fragments d’un parcours de vie, témoignage d’une pensée et traversées de crises existentielles parcourent ce recueil.

 

Le père de Gabriel, Pascal Bacqué, Massot-Sophie Wiesenfeld, 2020

« J’envoyai à quelques amis : « Mon père est parti ce matin à 5h30. René, alors, me répondit : « Sous d’autres cieux, à l’aurore infinie. » Ainsi finit, c’est-à-dire commença, l’ouvrage de Jean Bacqué ; commença, car avec les vivants on n’en finit jamais. L’espoir n’a jamais signifié autre chose. »
C’est en découvrant la bibliothèque proposée en 2021 dans « Ces livres sont nos témoins » que cet ouvrage est venu me chercher.
Ce livre m’a bouleversée. Il est question de la mort et du deuil mais également d’espoir. Il est le récit d’une démarche, d’un apprentissage de l’étude, d’une intériorité.

 

 


Ces livres sont nos témoins

Antoine Beauchamp

 

 

 

Antoine Beauchamp est journaliste à France Culture. Il suit le Banquet depuis plusieurs années, et a participé à la rédaction de Corbières-Matin. En 2017, il faisait partie des lecteurs de la prodigieuse « Nuit de L’Iliade »…

 

 

 

 

 

 

 

 

Du petit au grand matin

2017. La nuit de L’Iliade. L’épopée qui résonne en pleine nuit avec toutes les voix qui se succèdent, les gens qui restent sur place pour lire, écouter, dormir. Ronfler pour certain et s’en faire engueuler. Le travail avant. Tous les matins commençaient avec les ateliers de Dominique Larroque-Laborde, on comprenait l’actualité intacte d’un tel texte ; les après-midi on s’entraînait à la lecture avec Mélanie Traversier et les mots prenaient forme. Puis il y a eu le soir, la nuit, le matin et le point final. Je me souviendrai toujours de la fin de la lecture collective sur les coups de midi le lendemain, de cette émotion immense accentuée par la fatigue, de ces applaudissements sans fin, des larmes derrière les lunettes de soleil. Un peu comme ces athlètes qui font des trails invraisemblables et qui s’écroulent après la ligne d’arrivée en disant « On l’a fait ». Et là on l’a vraiment fait.

Matin, 2019 – L’inconnu du lac, Alain Guiraudie

2019. Pas un texte, mais une image d’un film découvert à l’atelier ciné à côté du terrain de foot ou de rugby (je ne veux froisser personne) : L’inconnu du lac d’Alain Guiraudie. L’un des personnages principaux du film, un petit monsieur rond, s’avance. C’est l’un des tournants du film, il s’avance sur cette plage crayeuse écrasée par le soleil et le vent brutal se lève d’un coup dans les saules argentés derrière lui. C’est une image digne d’un grand mythe, où la colère et la vengeance vont parler, la justice aussi. La nature et le bonhomme dans cette nature sont d’un même mouvement, d’un même bois. Tout est dans l’arbre agité et ce pas déterminé. C’est un cadre fixe, sans effet, qui porte une vérité hors d’âge. Quand on sort de la salle de cinéma, le soleil est déjà haut et l’image persiste.

Après-midi, 2014 – Jean-Christophe Bailly

2014. Découverte de Jean-Christophe Bailly un après-midi de 2014, il parle de son livre Un arbre en mai, il a une voix de feutre usé et sa pensée enchante parce qu’elle n’a pas de cloisons. Elle fait comme une constellation où les points sont liés les uns aux autres par des fils de diverses natures, mais solides les fils. J’achète le livre Le Dépaysement à la librairie. Tout dans ce livre, et les livres de Bailly en général, ressemble à ce qu’on vient chercher au Banquet : une source. On y puise une réflexion qui crée des ponts entre pensées, au rythme d’une promenade où chaque pas ancre un peu plus dans le sol et rend un peu plus léger.

Fin d’après-midi, 2017 – Martin Rueff

2017. Icare crie dans un ciel de craie. C’est le titre d’un long poème de Martin Rueff qui vient de prononcer une conférence sur l’impératif présent en fin d’après-midi. Icare : une nouvelle fois m’étonne la cohérence de ce mythe revisité avec le lieu où nous sommes. L’imaginaire méditerranéen antique comme actuel s’y déploie, la philosophie parle à la poésie et inversement. Je ne sais pas comment le dire mais le Banquet offre ça, un espace dans le temps, qui l’incarne presque, mais qui n’est pas soumis à sa prise, un peu comme une pierre calcaire. Ça renvoie la lumière, ça garde la fraîcheur et si ça s’effrite, c’est seulement aux angles. Je ne sais pas comment dire.

Soir, 2012 – Miguel Delibes lu par Alain Montcouquiol accompagné à la guitare par Philippe Cornier

La nuit de Lagrasse où la chaleur tombe, où les voix sont plus nettes et plus légères au-dessus du sol, où la cloche sonne avec une petite brise, où le silence est profond. Alain Montcouquiol lit à la nuit des extraits d’œuvres de Miguel Delibes, accompagné à la guitare par Philippe Cornier. Je découvre l’auteur des Saints innocents ou des Vieilles histoires de Castille dans la voix d’Alain Montcouquiol, une voix à la mélancolie espagnole qui a de la poussière sur les pompes à force d’avoir marché dans des champs où la pluie est rare. Une voix qui prend son temps. La soirée se finit autour d’une table sous un mûrier avec des mots échangés un peu en français, un peu en espagnol, des rires sur Séville, la tranquillité de tout ça et la saveur d’une rencontre qui marque.