Didier Daeninckx dans la librairie du Banquet

Lors du Banquet 2007, certains voulurent que cette « immersion » rituelle soit transformée en noyade. Ils n’y parvinrent pas, mais la mémoire de « l’attentat aux livres », d’un autodafé froid, qui fut mis anonymement en œuvre, demeure. Un livre collectif vient de paraître, qui est le récit d’une autre immersion, celle de quatorze hommes, de profession écrivains, rendant compte de trois jours et de trois nuits dans la partie religieuse de l’abbaye, occupée depuis 2004 par les chanoines de la congrégation traditionaliste voisine. Cette publication, coup de communication inattendu et largement soutenu par des médias de droite et au-delà, est une occasion qui vient réactiver ce que cette mémoire contient d’interrogations et de réponses encore en attente, de colère aussi.
Voici le récit de ces journées de notre été noirci de 2007.
Août 2006. Villemagne, commune de Lagrasse.
Conviés par Colette Olive et Gérard Bobillier, Martine Saada et Pascal Quignard viennent déjeuner sous les tilleuls des éditions Verdier. Pascal annonce pour 2007 la publication d’un essai qui poursuit la méditation dont on trouve un premier état dans Le Sexe et l’effroi. On se souvient de l’émotion suscitée par la lecture de ce livre, publié en 1994 par Gallimard, de l’admiration unanimement partagée alors pour son auteur, et du succès public inattendu d’un ouvrage très exigeant. Pascal confie son inquiétude pour ce projet de nouveau livre, dont il dit qu’il va se heurter à des résistances, réveiller des censeurs. Le titre envisagé est La Nuit sexuelle. Pour l’écrivain, les craintes ne sont en rien fondées sur un imaginaire caractère érotique, absent de la publication, mais bien plutôt sur la difficulté de réception qu’il donne à son propos, celui de la trouble ignorance de l’origine de la conception de chacun de nous, et des représentations de ce mystère. Nous reviendrons plus loin à ce livre avec l’argumentaire de couverture par lequel Pascal Quignard l’accompagna. En attendant, les animateurs de Verdier et moi-même, libraire, nous montrons plus que réservés et, pour tout dire, incrédules, devant l’anxiété de l’hôte de la maison. Les temps ne sont pas à la censure, avançons-nous, imprudemment sans doute.
N’anticipons pas. Nous sommes encore sous le soleil d’été à Verdier. Gérard Bobillier, toujours aussi prompt, invite l’auteur du Sexe et l’effroi à venir au Banquet du Livre de l’été prochain, en août 2007, à nous faire voyager dans les environs de sa Nuit sexuelle. Pascal invitera pour cette occasion les écrivains qu’il souhaite auprès de lui, et les animateurs du Banquet imagineront un programme autour de ce thème. Nous sommes, présents à ce déjeuner d’amitié partagée, tous solidaires d’un projet qui s’annonce aussi riche dans sa réflexion que diversifié dans les orientations vers lesquelles on va le conduire.
 
3 Août 2007. Abbaye de Lagrasse. Côté séculier (Propriété du Département).
Interrompu durant quatre années d’incertitudes et d’hésitations chez nos partenaires, un nouveau Banquet du livre va commencer. Il ne s’arrêtera plus. A Ombres blanches, nous reprenons du service, dopés par les espoirs d’une activité collective dont nous regrettions la suspension. Sous le titre La Nuit sexuelle, cette édition promet des invités particulièrement incisifs dans les champs de la littérature et de la philosophie. Entre les 1er et 3 août, nous installons notre librairie éphémère (elle le sera plus encore que prévu !). Le travail éditorial et commercial, la confection des cent-cinquante cartons de livres, nous auront pris tout le mois de juillet pour la préparation de notre mission. Sur les quarante immenses tables du réfectoire, nous développons une trentaine de thèmes attachés à ce que nous imaginons à l’œuvre pour « illustrer » La Nuit sexuelle :  littérature, philosophie, psychanalyse, sociologie, anthropologie, histoire, religions, peinture, histoire de l’art, cinéma, viennent composer un univers de livres dont tout caractère érotique, à fortiori pornographique, est absent, du moins tellement délayé qu’aucune ambigüité n’est à l’œuvre dans notre sélection de plus de quatre mille titres. Car là n’est pas le sujet : « la nuit sexuelle » est un sujet sérieux. Pascal Quignard est au centre de ce Banquet, son ouvrage organise la réflexion donnée à entendre de tous nos invités, mais le livre est absent…à paraître en octobre. Voilà un lancement original, pour lequel chacun, comme on dit, joue le jeu, tant l’enjeu est majeur. En effet, si nous ne disposons pas encore d’un contenu préservé par l’éditeur Flammarion, nous savons par l’auteur l’objet de sa méditation. La voici, livrée ci-après, dans la quatrième de sa couverture, écrite par l’auteur lui-même :
 Quand on sonde le fond de son cœur dans le silence de la nuit on a honte de l’indigence des images que nous nous sommes formées sur la joie.
Je n’étais pas là la nuit où j’ai été conçu.
Une image manque dans l’âme.
On appelle cette image qui manque « l’origine ».
Nous cherchons cette image inexistante derrière tout ce qu’on voit.
Je cherche à faire un pas de plus vers la source de l’effroi que les hommes ressentent quand ils songent à ce qu’ils furent avant que leur corps projette une ombre dans ce monde.
Si derrière la fascination, il y a l’image qui manque, derrière l’image qui manque, il y a encore quelque chose : la nuit.
Il y a trois nuits.
Avant la naissance ce fut la nuit. C’est la nuit utérine.
Une fois nés, au terme de chaque jour, c’est la nuit terrestre. Nous tombons de sommeil au sein d’elle. Comme le trou de la fascination absorbe, l’obscurité astrale engloutit et nous rêvons en elle. Et si c’est par la nuit qui est en nous, interne, que nous nous parlons, c’est dans la nuit externe, quotidienne, qui semble à nos yeux venir du ciel, que nous nous touchons.
Enfin, après la mort, l’âme se décompose dans une troisième sorte de nuit. La nuit qui régnait à l’intérieur du corps se décompose à son tour dans un effacement que nous ne pouvons anticiper. Cette nuit n’a plus aucun sens pour s’aborder. C’est la nuit infernale.
Ainsi y a-t-il une nuit totalement sensorielle qui précède l’opposition astrale du jour et de la nuit. Nous procédons de cette poche d’ombre. L’humanité transporta cette poche d’ombre avec elle, où elle se reproduisit, où elle rêva, où elle peignit. Elle pénétra irrésistiblement dans les grottes obscures où elle tourna son visage vers des écrans blancs de calcite sur lesquels des images involontaires surgissaient et se mouvaient par la projection de la flamme d’un flambeau. Des millénaires passent. Elles continuent de défiler dans des salles étranges, édifiées dans le sous-sol des villes, où la ténèbre n’est plus divine mais produite artificiellement.
Si la « Nuit » à laquelle nous convie l’écrivain n’est pas de tout repos, c’est plus par la non-quiétude qui peut nous y étreindre, que par les étreintes physiques de l’accomplissement amoureux et de la jouissance sexuelle. Sans doute cela choque-t-il les adeptes du culte marial, pour lesquels l’origine se résout dans le mystère d’une conception privée de l’acte de conception. Cela vaut sans aucun doute chez les voisins des Chanoines réguliers de la Mère de Dieu, installés depuis 2004 dans la partie privée de l’abbaye, reclus volontaires dans le silence et une lumière tamisée, ouvrant son architecture classique aux regards sur les vignes, sous la colline, y profitant du soleil levant et de ses ombres projetées. Jusque dans ses recoins les plus obscurs. Nous sommes ici, on s’en doute, dans l’observance des règles, et dans le dogme.
Benoît XVI, pape intérimaire, tient les propos suivants sur l’Immaculée conception, publiés le 2 janvier 2008. La qualification de Mère de Dieu, si profondément liée aux fêtes de Noël, est donc le titre fondamental sous lequel la Communauté des croyants honore, pourrions-nous dire depuis toujours, la Sainte Vierge. Celle-ci exprime bien la mission de Marie dans l’histoire du salut. Tous les autres titres qui sont attribués à la Vierge trouvent leur fondement dans sa vocation à être la Mère du Rédempteur, la créature humaine élue par Dieu pour réaliser le plan du salut, centré sur le grand mystère de l’incarnation du Verbe divin. 
Si rien ne vient contraindre les locataires des parties séparées de l’abbaye à s’entendre autrement que par l’usage d’un voisinage neutre et poli, on saisit combien il va être complexe de concilier nos invités et les auditeurs de leurs conférences avec les religieux cantonnés de l’autre côté du rideau de pierres qui sépare depuis si longtemps l’abbaye médiévale de son prolongement du 18ème siècle. Mais notre innocence de laïques, sûrs de leur raison biologique et de leurs interrogations philosophiques, va être bousculée par la presse. Depuis plus d’un mois déjà, le site Unitas.fr multiplie les offensives les plus imbéciles mais aussi les plus radicales, braquant ses invectives sur un titre que ses animateurs sont bien incapables de lire autrement que comme dans sa dimension éjaculatoire. Il manque, dans ce chœur qui se prétend défenseur de la civilisation chrétienne, un acteur pouvant donner de la voix. Figaro, ci ! Figaro, là ! Aussi rapide que l’éclair, je suis le factotum de la ville, nous chante le barbier de Séville.
4 Août 2007. Paris. Lagrasse.
Une journaliste du Figaro publie un papier dont on va constater qu’il vient jeter de l’huile sur le feu. Alors même que le Banquet du livre débute son cycle de lectures et de conférences, le quotidien parisien, sans s’y déplacer, vient « au village » se nourrir d’une polémique imaginaire dans l’ancienne « terre des cathares ». La polémique fait rage dans ce joyau du pays cathare, propriété du conseil général de l’Aude et de chanoines traditionalistes, à l’occasion d’une manifestation littéraire organisée par le département, qui veut récupérer les lieux. De cet ensemble volontairement désinformant, retenons seulement le mot « traditionaliste » qu’emploie la journaliste, mot qui vaut quelques remarques. La congrégation des Chanoines réguliers de la Mère de Dieu est régulièrement pointée pour son traditionalisme par les catholiques, et pas seulement par les « progressistes ». Plus tard, en 2017, son influence ressentie avec inquiétude par les prêtres en pays narbonnais sera relayée par la presse. Coup de projecteur en arrière : le Vatican de Jean-Paul II avait fait la chasse aux intégristes et les affidés de Monseigneur Lefèvre, le Vatican de l’ancien Cardinal Ratzinger rassembla plutôt les brebis égarées qu’elle entreprit de réintégrer au sein de la communauté, quand bien même la messe soit dite en latin, et la liturgie trop voyante. S’il faut produire du savoir sur les intégrismes dans l’Eglise catholique, mieux vaut aller le chercher chez ceux qui savent depuis l’intérieur de l’institution, et qui en sont critiques. Paul Ariau, historien, a publié de nombreux livres sur l’intégrisme et les déviations dans le catholicisme. Il établit trois niveaux d’intégrisme, dont celui des « intégrés ». Les « intégrés » doivent proposer une lecture critique de Vatican II compatible avec leur insertion canonique dans l’Église. Ils utilisent les textes établissant leur statut (Ecclesia Dei adflicta, 1988 et Summorum Pontificum, 2007), s’appuient sur « l’herméneutique de la continuité » de Benoît XVI en 2005. En liturgie, ils proposent une « réforme de la réforme » en utilisant les positions liturgiques de Benoît  XVI, spécialement lorsqu’il était préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi. Ils proposent des interprétations des points conflictuels de Vatican  II (liberté religieuse spécialement), cherchant leur compatibilité avec le catholicisme « intransigeantiste ». Nous avons ici quelques clés pour saisir l’environnement de l’abbaye de Lagrasse au-delà du mur qui sépare les deux espaces.
5 Août 2007. Lagrasse.
Le dimanche matin du Banquet, nous nous retrouvons avec Pascal Quignard sur la terrasse du café du Marque-Page, lieu de dialogues de tous ceux qui assistent aux rencontres et aux lectures, auteurs, spectateurs. Auparavant, j’ai croisé sur le chemin de l’abbaye, à quelques mètres du portail des chanoines, un groupe de scouts d’Europe, dûment parés de leurs atours. Je connais leur réputation, et leur affiliation à une Eglise traditionaliste. Référons-nous ici à nouveau à Paul Ariau :
Le scoutisme intégriste  / traditionaliste s’est construit avec l’autonomisation de la galaxie intégriste  / traditionaliste à partir de la fin des années 1960. Il comprend des troupes et des organisations autonomes, non affiliées à la Fédération du scoutisme français et souvent non reconnues par l’État. Il a connu des scissions en fonction de la position des associations scoutes sur l’usage de la liturgie de 1969 et sur les relations entre les intégristes / traditionalistes et le Saint-Siège. Dans le premier cas, les Scouts d’Europe (fondés en 1958, investis par des scouts bretonnants en 1962 puis par des membres de l’Office de Jean Ousset opposés à la réforme pédagogique des Scouts de France de 1964) et les Scouts Saint-Georges (fondés en 1968 par d’anciens Scouts de France refusant la réforme pédagogique de 1964) ont connu des scissions (scouts d’Europe : troupes lyonnaises fondant les Scouts et Guides Saint-Louis en 1972, départ régulier de troupes dans les années 1970).
Ainsi, Lagrasse semble être cet été 2007 un point de ralliement. Cette petite et vaillante troupe sera aperçue le mardi suivant, le 7 août, par une collaboratrice du CNL sur la route et sous la pluie, guidée par un adulte semblant sortir d’une photographie des pensionnats les plus raides de l’Eglise, houppelande, béret. Rien ne vient interdire à ces jeunes gens, bien entendu, de profiter des élans de la messe en latin, s’ils s’y rendent. Etrangement, plus tard lors d’une enquête arrêtée trop vite sans doute, aucun témoin dans l’abbaye ne les aura vus. Au point qu’il m’est venu à plusieurs reprises l’hypothèse d’une hallucination collective.
Retour au dimanche matin, encore paisible. Et décidément bien innocent. Nous avons, Pascal Quignard et moi, retrouvé Catherine Millet et Jacques Henric. Ils sortaient de l’abbaye voisine, où ils avaient été conviés par Patrick Kéchichian, critique littéraire au Monde des livres, à assister à la messe dominicale, dans la forme liturgique qu’on lui imagine, et qui valait un emballement soudain pour faire un pas de côté, et abandonner ne serait-ce que le temps d’un matin du monde, la recherche de nos origines dans la nuit sexuelle de nos géniteurs.
9 Août 2007. Abbaye de Lagrasse. Tombée du côté obscur.
Faut-il à nouveau évoquer ce traumatisme ? Sans doute. En effet, nous venons d’apprendre, dès le petit matin, la découverte d’un saccage de la librairie. L’entrée du Réfectoire, interdite au public par les enquêteurs, est évidemment permise aux responsables du site et de ses contenus. C’est dans une suffocation immédiate que nous découvrons l’ampleur du désastre. Toutes les tables, la quasi-intégralité du fonds de la librairie est pris dans un mélange d’huile de vidange et de fuel, afin de le rendre plus liquide et de rendre plus sûr l’arrosage polluant des livres. Sur près de huit mille, plus de six mille volumes s’avèreront irrécupérables, en dépit de trois jours passés à nettoyer à grand renfort de produits chimiques aussi généralement inutiles que compromettants pour les bronches de celles et ceux qu’y se risquent au sauvetage.
La fenêtre par laquelle sont passés les auteurs des déprédations est étroite et peu haute. Seul un jeune ou plusieurs auront pu se glisser à l’intérieur. Mais il a fallu imaginer, préparer, décider, passer à l’acte. Qui ? Comment ? Pourquoi ?
Les jours suivants, le Banquet du livre se tient, dans une atmosphère pesante, dans le doute, dans les soupçons.
Les gendarmes prennent les témoignages. L’enquête commence.
Automne Hiver 2007. Année 2008. Toulouse. Lagrasse. Villemagne. Paris.
L’Association Le Marque-Page, représentée par Jean-Michel Mariou, et la librairie Ombres blanches, que je dirigeais, prennent un avocat commun aux fins d’un dépôt de plainte avec constitution de partie civile. Je ne me souviens plus de la date de ce jour sombre où l’avocat nous annonça que l’affaire était classée sans suite. Nous avions l’impression que nous connaissions plus de détails sur le dossier que la gendarmerie. Mais il était inutile, nous confiait l’avocat, de penser à aller plus loin. Années noires, juste interrompues par des étés de Banquets du livre à succès.
Toulouse. Depuis ce temps…
Depuis ce mois d’août de 2007, une certaine amertume compromet de temps à autre les lumières de nos Banquets d’été, mais l’énergie ne manque ni à ses organisateurs ni à ses libraires d’Ombres blanches. Pour autant, il est difficile d’oublier la noirceur du réfectoire le matin du 9 août. Les photos en témoignent encore.
Le doute jeté sur nos témoignages, l’arrêt incompréhensible de l’enquête, troublent autant que l’absence des preuves à nos soupçons. Depuis cette date du dépôt d’une plainte classée sans suite, il y a l’oubli dans une vie par et pour les livres. Depuis ce moment, en 2008, où nous venions de gagner un président d’une droite plus droitière que jamais, nous aurons vu croix, fleurs de lys et autres emblèmes de tous les conservatismes, et plus encore de l’extrême-droite, corrompre chaque jour plus nos environnements et prendre place dans tous les espaces de cerveaux disponibles.
Ainsi les Chanoines de l’abbaye de Lagrasse occupent-ils dans la société villageoise une place qui excède les limites territoriales des murs de leur propriété. Et ce territoire symbolique ne se limite pas aux frontières de la commune, ni même à celles du département ou de l’Occitanie.
Un extrait de La Dépêche du Midi du 11 mars 2009. Obsèques du Préfet de l’Aude. Cathédrale de Carcassonne. A l’éloge administratif, un peu froid et convenu, l’évêque de Carcassonne, Mgr Alain Planet, a su trouver les mots justes pour réconforter tous les proches du préfet disparu lorsqu’ a débuté l’office concélébré avec le père abbé des chanoines de l’abbaye de Lagrasse, une congrégation religieuse à laquelle le représentant de l’Etat était très attaché. Très proche. Et le père Emmanuel Marie de remercier toute l’assistance.
Un extrait de La Dépêche du Midi du 30 mars 2018. Les obsèques d’Arnaud Beltrame. Mais c’est bien évidemment la famille des gendarmes qui a été largement accueillie pour cette messe célébrée par l’évêque de Narbonne et Carcassonne, ainsi que le chanoine de l’abbaye de Lagrasse. 
Un extrait de La Dépêche du Midi du 21 septembre 2020. Confiée à Stéphane Bern, la mission Patrimoine 2020 a sélectionné à la fin de mois de juin 2018 des projets emblématiques qui bénéficieront d’un soutien financier de la Fondation du Patrimoine. Parmi eux, l’abbaye Sainte-Marie de Lagrasse dans l’Aude classée au titre des monuments historiques…La dotation accordée à l’abbaye Sainte-Marie ainsi qu’aux 17 autres sites emblématiques sera annoncée lors des Journées Européennes du Patrimoine.….
Un extrait de La Dépêche du Midi du 20 novembre 2021. François Beigbeder en pays cathare. Le conflit n’est pas non plus éludé par l’écrivain Frédéric Beigbeder qui, dans l’ouvrage à paraître, prend la chose avec le recul de l’humour. Il raconte ainsi comment il « fugue » un soir pour voir le match France-Allemagne de l’Euro au restaurant 1900 (et pour boire des Spritz) et comment il est interpellé par une cliente qui reproche aux chanoines, qu’elle « n’aime pas », « d’avoir arrosé d’huile des livres de la librairie côté laïque de l’abbaye ». Frédéric Beigbeder, qui en est selon ses dires à son troisième Spritz, ex-directeur du magazine Lui et auteur de « Nouvelles sous Ecstasy » mais aussi « ancien soutien de Robert Hue » propose dans sa contribution de faire office de « médiateur, Casque bleu du pays Cathare » en voulant « réconcilier la littérature libertaire et l’adoration du Christ ressuscité ».
Que vient faire ce Beigbeder dans cette histoire ? Il n’a jamais été invité à un Banquet du livre par ses organisateurs. Aurait-il fait un écart sur la route entre une villa à Biarritz et un village du Lubéron ? L’enquête est ici rapide et la sanction tout autant. Frédéric Beigbeder et treize écrivains ont été invités par les Chanoines à passer trois jours et trois nuits en leur compagnie…et à en tirer la matière d’un livre. Les éditions Fayard et les éditions Julliard unissent leurs efforts pour produire ce livre, en confiant la diffusion à Inter-Forum, outil de distribution du Groupe Editis. Le Groupe Bolloré absorbant bientôt le Groupe de Presse et d’Edition de Lagardère, Editis projette son union avec Hachette. Voilà l’occasion d’une bénédiction devant un autel tel qu’on sait que Vincent Bolloré les affectionne.
Mais pourquoi des écrivains viennent-ils ainsi se compromettre avec des religieux ? Quelle promesse de pardon, de rémission, d’absolution ? Quel frisson est venu parcourir des échines ployant d’ordinaire sous les contraintes de la vie citadine ? Ou bien partage-t-on des idées de civilisation défendues ici, entre les murs silencieux des voisins de nos banquets si bruyants ? J’entends le jeudi 19 novembre au matin la chronique de Claude Askolovitch sur France-Inter.
(…) La grâce, c’est ce qu’ont été chercher au cœur du vignoble des Corbières, dans l’Aude, quatorze écrivains d’aujourd’hui, qui réalisent aussi un coup d’édition. Au printemps dernier, ils ont passé Trois jours et Trois nuits – c’est le titre de leur livre, dont le Figaro magazine nous donne les bonnes feuilles – trois jours et trois nuits donc, à l’abbaye de Lagrasse. Et, chacun dans son style, dit l’expérience monastique. Et quand c’est signé Sylvain Tesson, ça a de la gueule :
“Le mur du monastère est une membrane, les frères sortent en robe, c’est-à-dire en armure, exposés et offerts. Grandeur des murs, beauté des frontières, les esprits paresseux déplorent tout rempart, ils rêvent de terres équarries par les courants d’air. Retrouvant la laideur énorme de la ville, je savais désormais que ce carnaval hideux n’était pas grave. La cataracte de foutre et de sang qui s’appelle l’histoire n’a aucune importance : le temps va ramener l’ordre des anciens jours”.
Et dans ce Fig-mag de nostalgies assumées et de refus du charivari migratoire, la prose de Tesson nous dit que la grâce / Lagrasse est aussi politique ».
Alors, en effet, Lagrasse est aussi politique et celle que je devine sous cet ordre des jours anciens me fait aussi froid dans le dos que les gesticulations d’un supposé candidat à être notre Président de la République.

Christian Thorel