(Une des origines du charivari, ici dans sa version gentillette, est à chercher dans le département de l’Ariège tout proche. En 1829, un nouveau code forestier est mis en place. Il impose une réglementation de l’usage des forêts, en particulier concernant les traditionnels droits féodaux qui, à brève échéance, seront appelés à être supprimés au profit d’une gestion plus tournée vers l’industrie et le profit au bénéfice de grands propriétaires maîtres de forges et charbonniers. Ce code va accélérer la rupture entre un système traditionnel juste et un système techno-économique dépendant. La guerre dite des « demoiselles » fera rage en Ariège pendant plusieurs années. Les « demoiselles » qui attaquaient en bande les gardes forestiers et les agents de l’État venus pour saisir biens ou animaux n’étaient en fait que les paysans déguisés et grimés pour ne pas être reconnus, en lutte contre ce nouveau code trop injuste à leurs yeux.)

On peut se douter que cette manœuvre préfectorale n’avait pour but que d’intimider nos révolutionnaires. Ce ne sera pas le cas. Les jours suivants, le maire et ses administrés décrètent que le village de Counozouls devient une commune libre. Les élections étant proches, ils décident de ne pas les organiser. Au comble de l’excitation, un ou plusieurs quidams profitent de la nuit pour incendier incognito la maison d’habitation de Jodot, le château de la Moulinasse, heureusement vide à ce moment-là. Trois nuits plus tard, c’est au tour de la maison des gardes – qui ont déguerpi depuis longtemps – de brûler. C’est à ce moment-là que la presse locale et nationale s’empare de l’affaire et relate le moindre événement, illustré par des photographies martiales de gens en armes et de bâtiments incendiés…

La situation semble inextricable. Pour le préfet, il faut sauver les élections qui approchent, et il faut agir au plus vite car la situation peut dégénérer. Comme toujours dans ce genre de circonstances, la recherche d’un compromis doit l’emporter ; ainsi des gens de bonne volonté apparaissent, des hommes providentiels comme M. Henri Charles Étienne Dujardin-Beaumetz, député du canton de Limoux depuis 1887, un homme politique expérimenté, un peintre au talent reconnu. Originaire de Paris, il s’installe près de Limoux, dans l’Aude, au château de La Bezole, après avoir épousé la peintre Marie Petiet, originaire de la ville.

 

Sans en avoir la certitude, on peut penser qu’à ce moment-là les autorités du département, le préfet de L’Aude, M. Marraud, le député, M. Dujardin-Beaumetz, et sans doute d’autres personnalités se concertent pour définir la conduite à tenir. Le sieur Jodot a-t-il participé à ces rencontres ? Lui a-t-on demandé de revoir ses positions au profit de l’intérêt général et du retour au calme ? On ne le saura sans doute jamais.

Ce que l’on sait, c’est que quelque temps plus tard, une rencontre se déroule au sein même du village de Counozouls, qui réunit le maire et tous les habitants, une délégation de la préfecture conduite par M. le préfet Marraud, M. le député Dujardin-Beaumetz, M. le conseiller général Assens, le docteur Combet, diverses personnalités et quelques gendarmes. On peut imaginer ici cet équipage officiel empruntant la petite route en lacets qui mène au village après plusieurs heures passées dans des véhicules cahotants. Ils sont fourbus, couverts de poussière, assoiffés, attendus par une foule en habits du dimanche ; un arrêt sera nécessaire pour redonner à la délégation toute sa dignité. Un journaliste du Matin relatera l’événement dans une dépêche datée du 4 janvier 1904…

Counozouls, 4 janvier 

Une délégation officielle de la préfecture de l’Aude s’est rendue dans ce petit village de l’Aude à la rencontre de la population pour tenter de mettre fin au curieux conflit qui agite la commune. Leur visite attendue aura un premier résultat : les habitants ont accepté le principe d’une médiation et désigné quatre des leurs pour se mettre en contact avec l’administration et exposer point par point les revendications de la commune, droits féodaux, code forestier, paiement des frais de justice, etc. Les visiteurs officiels ont été admirablement accueillis et acclamés aux cris de « Vive M. le préfet ! Vive M. le député ! Vive la République ! » Tout le monde a pu s’exprimer en toute liberté et faire entendre des paroles de sagesse et de conciliation. Si monsieur Jodot, le propriétaire des vastes forêts, ne montre pas plus d’intransigeance que les habitants, le conflit malheureux qui divise la communauté et le « seigneur », pour parler comme au village, est à la veille d’être dénoué. En l’affaire, le seul arbitre indiqué et dont la sentence sera certainement respectée ne saurait être que monsieur le préfet. Si monsieur Jodot veut bien se rapporter à la sagesse du premier magistrat de l’Aude, il peut être sûr que monsieur le préfet saura concilier les intérêts des deux parties et les tirer l’une et l’autre d’une situation qui paraissait sans issue… »

à suivre demain…