Beaucoup de ces héros de l’ombre sont morts, au combat, en prison ou en déportation. Les survivants, eux, choisirent souvent le silence. Ils sont devenus taiseux comme les montagnards qui lisaient les exploits de ceux de la dernière heure dans les journaux dont les pages serviront à essuyer le gril des châtaignes grillées, à écailler le poisson ou contenir la litière du chat.

Il existe pourtant quelques témoignages, comme celui du compagnon X, dit Captan, qui parle d’Auguste Robert et de Vinicio Faita, qui fondèrent dans les bois de Faussières, à une heure de marche de Salvezine, le FTP Robert et Faita. Ils furent rejoint par une centaine d’autres, dont certains avait un parcours singulier, comme Victoire et Laurent Ribéro, dits les  »Ribéro », indissociables comme le couple Aubrac, raconte Captan. Hussards noirs de la République, instituteurs l’un à Gincla l’autre à Salvezines, ils ont transmis des messages, ravitaillé, pris d’énormes risques tout en continuant à faire l’école au risque d’être dénoncés. Ils ont caché des réfugiés, des inconnus, dans un local rempli de livres et de vieux cahiers dont l’odeur rassurante, mêlée à celle des bougies, plongeait leurs hôtes dans des sommeils d’enfances pendant qu’au dehors d’autres loups rôdaient…

Aujourd’hui le plateau est plus sûr, pas de loup, pas de l’oie, les divisions et les colonnes mauvaises ont disparues dans les vents et brouillards de l’Histoire. Les balles ne sifflent plus, terreur des scieurs de long quand elles allaient se ficher dans les grumes de bois et brisaient les lames de scie. Mélèzes, châtaigniers, pins noirs et autres sapins peuvent pousser tranquilles. Juste peut-être un grand cerf ira se frotter contre leur tronc. Ou un ours, immigré slovène. Mais c’est à peu près tout en attendant la grande faucheuse. C’est dans cet environnement forestier qu’il faut chercher Counozouls, le village qui nous intéresse…

C’est très simple : il suffit d’arriver à Axat par la D118, de continuer pendant trois kilomètres, et de s’engager dans les gorges de St Georges. Le point rouge que vous apercevrez dans la passe de granit n’est pas le feu du dragon, mais tout simplement un feu qui règle la circulation ! Car la route est trop étroite pour pouvoir se croiser. Tournez ensuite à gauche (la route s’est élargie jusqu’à deux mètres cinquante !) vous êtes sur la D84. Après… c’est tout au bout ! C’est la règle ici, on traverse le village de Sainte-Colombe-sur-Guette, ça grimpe, la petite route passe à travers la forêt de Gravas (rêves de cèpes et de girolles). Mais il faut rester vigilant, le ravin est tout prés, au fond coule l’Aiguette. Et puis nous y voilà ! Dernière pente et là, appuyé à la montagne de Cabrixa et au pic de Dourmidou, enfin, Counozouls !…

Posé au milieu de prés en pente douce (des artigas), le vieux cimetière, modeste, abrite des tombes anciennes surmontées de croix en pierres taillées pour l’éternité, ou en fer, tiré des mines voisines, si pur qu’il brisait net les glaives romains, dit-on. Le village, ramassé autour de l’église et de son clocher typique des Pyrénées, surmonté de trois clochetons. Les rues sont étroites, et on accède de l’une à l’autre par des passages voûtés qui donnent sur deux places, l’une de la fontaine, en belle pierres enluminée de fleurs, l’autre de l’église, qui fait face, si l’on peut dire, à la mairie et à l’école, triptyque habituel des villages. La plupart des maisons sont exposées à l’Adret, et donnent sur de petits jardins potagers en pente aux bordures fleuries.

On ajoutera aujourd’hui, tout de même, un petit bémol au sujet de ces maisons construites en pierres de pays, qui disparaissent sous un fard de ciment passé avec insistance par des rois de la truelle et du parpaing réunis. Ces maquillages résistent peu aux rigueurs de l’hiver et se détachent par endroits, laissant apparaître les belles pierres. Coté Ubac, des constructions plus anciennes, dépendances, lieux de stockage du bois, bergeries, leurs volets et leurs portes semblent fossilisés. Des pans de murs entourés d’herbes folles font penser à des jardins oubliés . Vous traversez la rue, et vous changez de siècle…

à suivre demain…

 

L’auteur : Jacques Joulé est brocanteur, chineur, et grand amateur de vieux livres. Il vit, pense, rêve et agit à Lagrasse…