Le plateau de Roquefortès, sur ses solides assises de granit, a résisté aux époques glacières et aux torrents dévastateur de la débâcle, il a servi de refuge aux premiers seigneurs des lieux, le fameux ours des Pyrénées, roi des immensités boisées, dévoreur d’airelles, de fraises des bois et de myrtilles pour lécheur de miel. A son compère le grand loup noir habillé de nuit, aux yeux brillants de lune, hurleur de contes, dévoreur d’espace et parfois d’autres choses, passeur d’Espagne, maître contrebandier toujours insaisissable, comme au grand prince des airs, roi des rois, l’aigle qui domine l’espace, les sommets, les orgueils et les ego, planeur d’infinis, cueilleur de serpents, de marmottes et de lapins distraits…

Plus tard viendra l’époque des hommes, réfugiés venus de contrées lointaines. Les premiers furent Celtes, puis Volques. Certains firent souche, d’autres suivirent les loups par les cols vers l’Espagne. Éternel va-et-vient des peuples, ceux qui sont restés se mélangeront à d’autres. Les hommes deviendront bergers, bûcherons, mineurs, cultivateurs, mais avant tout montagnards. Les Maures firent là un bref passage. C’est sûrement la dureté du climat et des habitants qui leur fit continuer le chemin.

Le grand Charlemagne lui-même installa quelques seigneuries vassales pour mieux contrôler les frontières catalanes et espagnoles. La grande histoire allait pouvoir s’écrire…

L’histoire locale de ce plateau est liée à la famille de Niort. Géraud de Niort, Vicomte de Sault (1130-1210), maître du Roquefortès, y possédait de grandes étendues cultivées, forêts, moulins, forges, scieries etc… Au début de ce 13ème siècle, Géraud de Niort est un fervent protecteur de la cause cathare, au même titre que d’autres familles des Corbières et d’Ariège. La croisade des Albigeois mettra fin à cette résistance, et d’autres dynasties s’installeront. Les plus vieux documents concernant la commune de Counozouls remontent à 1367. Ils mentionnent le nom de  »Conosalium ». En 1427, on retrouve mentionné  »Locus de Conosalio ». L’église a été construite en 1509 (Ecclésia Beati Valentinum de Conozols), et restaurée au 18ème siècle.

Au 19ème siècle, le village tire ses principales ressources de l’exploitation des bois et de l’élevage. La quasi totalité des forêts qui bordent la vallée de l’Ayguette appartenaient sous l’Ancien Régime au seigneur de Counozouls. Les habitants, trente foyers au XVIIème siècle, bénéficiaient dans le cadre du droit féodal de droits d’usage. Le droit de dépaissance leur donnait la possibilité de faire paître leur bétail, sous la garde de pâtres communaux, dans tous les bois et clairières de la commune, publics et privés. Les droits d’affouage ou de marronnage les autorisaient à prélever le bois nécessaire au chauffage, à la construction et à la fabrication d’outils. Ces droits ont fait l’objet d’une constatation officielle dans un acte de reconnaissance datant du 16 juillet 1669. Les consuls de Counozouls, Pierre Cathala et François Authié, y reconnaissent pour seigneur messire François de Montesquieu, se réservant les droits d’usage forestier et de dépaissance par le paiement annuel à la Toussaint de la somme d’une livre et quinze sols par centaine de bétail à laine.

Après la révolution, celle qui était devenu propriétaire de la majeure partie des terres de la commune, la marquise de Poulpry, a quelques soucis. Elle figure sur la liste des émigrés qui ont fuit la Révolution, avant de revenir au pays, les choses presque apaisées. Ses biens sont donc mis sous séquestre, puis confisqués et vendus en partie. Le 20 octobre 1800, la marquise, ayant enfin obtenu sa radiation de la liste des émigrés, rentre en possession de ses biens non vendus et notamment de ceux de Counozouls. A son décès le 17 janvier 1814, le baron Jean de la Rochefoucauld hérite, en sa qualité de légataire universel, de tout ses biens : des centaines d’hectares de forêts, des bâtiments, des scieries, des moulins, un énorme patrimoine ! Rien que sur la commune de Counozouls, la forêt des Bailleurs (675 hectares), celle de Lapazeuil (1590 hectares), la scierie de Fournas, celle de la Moulinasse, la métairie de Becaud (13 hectares), un moulin, et enfin une maison d’habitation au cœur même du village… La Rochefoucauld vient rarement à Counozouls, et il laisse les paysans de la commune jouir de leurs droits séculaires.

Un demi-siècle après la mort du baron, la famille décide, en 1894, de se séparer de tous ces biens. Et pour la somme de deux millions de francs de l’époque, le sieur Jodot, industriel parisien, achète les terres, les forêts, et les bâtiments. Il pense sûrement acquérir aussi un peu du  »sang bleu » de l’ancien propriétaire. En fait, et comme nous le verrons plus loin, il va juste révolutionner la commune…

à suivre, dès demain, dans Corbières-Matin

 

L’auteur : Jacques Joulé est brocanteur, chineur, et grand amateur de vieux livres.

Il vit, pense, rêve et agit à Lagrasse…