n° 94

Jeudi 9 août 2018

Le scoot de Malik

Je ne sais pas trop pourquoi, mais je l’imagine en scooter. Peut-être à tort. Peut-être circule-t-il à vélo, un coffre noir accroché au dos avec un logo tape-à-l’œil. Malik est livreur, à Paris, coincé dans la grande chaine des précaires, à qui l’on « offre » un emploi sans sécurité, sans avenir, sans trop d’intérêt. Avec un salaire, certes, chiche, bien sûr, mais il faut vivre et faire vivre sa famille. Malik livre, trace dans Paris des itinéraires sans logique, au gré des adresses qu’on lui communique l’une après l’autre. Malik regarde ce qu’il voit. Dans les rues de Paris, il voit ce que tout le monde voit. Mais il voit aussi ce qu’il regarde : les autres, et depuis de nombreux mois, des miséreux qui s’entassent sous l’arche d’un pont, sur les grilles tièdes du métro, sur le talus du périphérique. Hommes seuls, familles, enfants isolés. Malik se dit qu’il en voit de plus en plus. Que c’est quand même incroyable de ne pouvoir rien faire. Rien faire. Un soir, en rentrant chez lui dans sa famille, en banlieue où les choses ne sont pas non plus très roses, il parle à ses parents, à ses frères, à ses sœurs, à ses amis, à ses voisins. Il dit qu’il ne sait pas quoi, mais qu’il faut faire quelque chose. Je suppose qu’il entend alors le minuscule et minable refrain de l’aquoibon, de l’impuissance, le coup de la goutte d’eau dans la mer. Mais Malik ne lâche pas. Et commence à convaincre autour de lui. S’organise. Et des petites distributions de nourriture, de couverture, de sourires, commencent à naître. Trois fois rien. Et Malik se dit que si tout le monde faisait comme lui, tellement de choses seraient réglées ! C’est tellement simple, il suffirait que ça se sache. Alors Malik se sert du réseau Facebook : il commence à poster des photos de la goutte d’eau. De sa famille en train de distribuer cette aide improvisée. Le réseau s’empare de la goutte, diffuse et rediffuse. Des fois, la goutte plaît, sans que l’on sache pourquoi. Aujourd’hui, Malik regarde la constellation qui est née grâce à des centaines de bénévoles,  en France et dans plusieurs autres pays, autour de cette idée si simple, si puissante : faire un tout petit peu, avec ses moyens, juste autour de soi.

Cette histoire, c’est Jean-François Corty qui la racontait hier après-midi sous le chapiteau du Banquet, qui la raconte dans son livre La France qui accueille (éditions de l’Atelier 2018). Jean-François Corty est anthropologue, médecin, et il a beaucoup travaillé dans les organisations non-gouvernementales, sur des théâtres de guerres lointaines, mais aussi dans les tranchées de la pire guerre, en France, celle qui broie en silence et sans images les pauvres, migrants ou pas. Patrick Boucheron avait souhaité s’entretenir avec lui, pour évoquer cette collection d’initiatives personnelles et puissantes, pour dire que notre pays ne peut pas se résumer à une vitrine de pleutres et de cyniques. Il y a aussi Malik.

aujourd'hui jeudi

9h : marcher dans la garrigue avec Catie Lépagnole (rendez-vous à l’abbaye)

9h15 : Rebonds (Café du Récantou, à la Porte d’eau) avec Romain Bertrand

9h30 : Atelier cinéma par Jean-Louis Comolli et Jean Narboni (Salle des fêtes)

10h : Atelier de littérature et civilisation grecques par Dominique Larroque (École du village)

11h : Atelier de philosophie par Françoise Valon (Chapiteau des jardins de l’abbaye)

12h30 : Conversations sur l’histoire par Patrick Boucheron (Place de la halle)

14h30 : Atelier lecture, par Mélanie Traversier (Boulangerie des moines)

15h : Café contact PEROU, laboratoire de recherche-action sur la ville hostile (cour de la librairie)

16h : Georges Mouamar, « Confusion des temps, confusion des lieux » (Chapiteau des jardins de l’abbaye)

17h45 : La Criée Riboulet, avec Marie-Hélène Lafon (Librairie du Banquet)

18h : René Lévy, « La multitude qui ne se réduit pas à l’unité est confusion » (Chapiteau des jardins de l’abbaye)

 

21h30 : Avec Mathieu

Lecture par Marie-Hélène Lafon et Serge Renko,

suivie de la projection du film Mathieu Riboulet, écrivain, de Sylvie Blum.

 

 

 

 

Grec, suite...

En plein atelier de littérature et civilisation grecques, le matin sous le préau de la cour de l’école du village, Dominique Larroque-Laborde, qui l’anime, s’est interrompue, la craie en l’air. Elle parlait de la bibliothèque d’Alexandrie, qui réunissait tous les savoirs du temps, qu’ils soient littéraires, philosophiques ou scientifiques. Le plus grand des scientifiques était alors – nous sommes 300 ans environ avant Jésus Christ – un mathématicien, Euclide. Il venait de publier un livre fondateur, « Les Éléments », qui rassemble l’ensemble des théorèmes et des axiomes qui permettent à la géométrie de se déplier.

« Y-a-t-il un mathématicien dans la salle ? » a-t-elle demandé ?

Nicolas Werquin, professeur à la Toulouse Schools of economy et à l’université Toulouse 1, spécialiste d’économie publique et de macroéconomie, habitant Lagrasse et bénévole au Banquet – on le trouve à la librairie près du bistrot – s’est levé, s’est emparé de la craie, et a tracé les distinctions entre géométrie euclidiennes et géométries non-euclidiennes. D’Alexandrie sous Ptolémée II à Einstein, en terminant par une citation des Frères Karamazov !… Olé !

(photos Katherine Carey)

18h52 : extrait

JEAN-CLAUDE MILNER

La Criée Riboulet

Tous les jours, dans la librairie du Banquet, à 17h45 précises, un des invités du Banquet vient, à la Criée, vanter les mérites uniques d’un livre, et persuader les gens de se plonger dans sa lecture. Cette année, ce sont les livres de Mathieu Riboulet qui sont en vedette. Mardi, Stéphane Habib faisait l’éloge vigoureux de Entre les deux, il n’y a rien, paru en 2015 aux éditions Verdier. Récit de l’intervention.

Variations sur la confusion 5

par Gilles Hanus

On peut illustrer la diversité des formes de confusion à l’aide des descriptions que fait Husserl de la perception d’une mélodie dans ses Leçons pour une phénoménologie de la conscience intime du temps. La mélodie qu’on joue, je ne l’entends qu’à certaines conditions formelles. Elle n’est ni une pure succession de notes déliées, ni la simple superposition de toutes les notes qui la composent – ce ne serait alors qu’une cacophonie. Pour entendre la mélodie, je dois percevoir le lien entre les notes qui retentissent pourtant successivement et ce lien ne doit pas empêcher les notes de se suivre. Husserl appelle « rétention » cet acte de ma conscience qui fait qu’à l’instant où l’instrument joue la note b, j’entends encore, comme venant juste de passer, la note a. Associée à la protension (le fait que ma conscience anticipe les notes à venir même si j’écoute ce morceau de musique pour la première fois), la rétention rend possible la continuité musicale qu’on appelle mélodie.
Mettons que les conditions soient réunies et que la mélodie berce mes oreilles, la confusion sonore par superposition ou par simple juxtaposition ayant disparu. Il reste possible que la mélodie devienne ritournelle, et celle-ci, qui s’impose à mon esprit et m’obsède est une forme nouvelle de confusion. Ce sera alors le rôle de l’interprétation que de faire entendre à nouveau la mélodie sous la ritournelle.

Portraits

Portraits de Jacques Bonnaffé, de Marie Ndiaye, Romain Bertrand, Serge Renko, Jean-François Corty, Achille Mbembé, Jean-Louis Comolli, Kiko Herrero et Gilles Hanus, par Idriss Bigou-Gilles.

1918, l'été Joë Bousquet

Le 27 mai 1918, à Vailly-sur-Aisne, près de Soissons, sur le plateau de Brenelle, l’écrivain Joë Bousquet, poète et philosophe, est atteint par une balle en pleine poitrine qui blesse sa moelle épinière et provoque la paralysie immédiate et définitive des membres inférieurs. Dans un petit livre passionnant paru au mois de juin aux éditions Trabucaire, « Les blessures de Joe Bousquet 1918-1939« , Serge Bonnery et Alain Freixe reviennent sur cet événement qui détermina la vie sociale et artistique de Bousquet, et le rapproche de sa « deuxième blessure » : en 1939, lorsque Bousquet voit partir au front ses amis de Carcassonne et d’ailleurs, sa moelle épinière se remet à saigner…

Les auteurs nous ont autorisés à reproduire ici, chaque jour, des extraits de leur livre.

Aujourd’hui, deux lettres de Joë Bousquet à Jean Ballard…

 

lire ici les lettres à Jean Ballard…

 

Regarder

A onze kilomètres de Lagrasse, l’artiste Philippe Aïni a installé, dans l’ancienne cave coopérative du village de Serviès en Val, un centre d’art contemporain remarquable qui propose, jusqu’à la fin de l’été, une exposition collective d’une trentaine d’artistes autour de la haute figure de Pierre Souchaud, le créateur d’Artension. Chaque jour, nous vous proposerons une œuvre exposée dans l’exposition. Aujourd’hui, Titos Kontou

Né à Athènes en 1980, Titos Kontou vit et travaille aujourd’hui à Toulouse.

« Une palette élémentaire. Terre : ocre, bruns, feu : noir charbon. Gris aériens. Bleus aquatiques. Teintes archaïques convoquant peintres pariétaux, forces souterraines et instinctives. Titos Kontou est doux. Sa rage est dans sa peinture. » (Artactif)

Pour en savoir plus, on peut consulter ici son site, ainsi que celui de la Coop-Art.

Comme ça, pour terminer...

Or donc, cette année, Jean-Marie Straub a eu 95 ans…