Compagnies de Jean-Louis Comolli

par Jacques Comets, monteur.

 

 

 

Jean-Louis, avant de devenir lecteur des Cahiers du Cinéma, était dans mon imaginaire d’apprenti-cinéaste, la première partie d’un nom composé, Comolli-Narboni-Fieschi, une sorte de trio, les « Dolly Brothers » de la critique que j’étais strictement incapable de différencier, mais dont j’essayais de glisser les noms pour me faire briller.

Plus tard, Jean-André Fieschi est devenu mon ami. Je me suis appliqué à lire les articles de Jean-Louis dont la syntaxe m’éblouissait, sans être vraiment sûr de tout comprendre. C’est la sensualité de son regard et de sa langue qui m’ont d’abord frappé, avant son acuité théorique. Disons que Jean-Louis, avant et après d’être le cinéaste magnifique que nous savons, a toujours été un artiste du texte et de la parole.

Il y a eu beaucoup plus tard la Fémis, où Jean Louis menait bataille avec Jean Narboni pour que la pensée reste au poste de commande, et où nos échanges sont devenus plus intenses et complices.

Il y eut évidemment le Banquet du livre, où il m’est arrivé de partager discrètement avec Jean-Louis l’animation des Ateliers.

La parole de Jean-Louis était magistrale. Il avait cette manière si singulière de faire naître, d’inventer sa pensée de son énonciation même, et d’avoir la courtoisie et la générosité de nous faire croire que non seulement nous étions les spectateurs-auditeurs de son élaboration, mais aussi que nous en étions en quelque sorte les co-auteurs. Cette parole musicale sans partition avait évidemment à voir avec sa passion pour le jazz. Et les éclats de rire qui sans prévenir rompaient soudainement le fil du discours, autorisaient alors les digressions les plus inattendues.

Jean-Louis, c’est enfin ce morceau de pensée issu de Voir et Pouvoir, qui pour moi est une boussole indépassable, et qui est beaucoup plus qu’une réflexion sur le montage mais aussi, à quelques mots près, une manière d’envisager la vie.

 « Les choses sont filmées, on ne les voit pas. Ce qui est filmé, ça a beau être filmé, on ne le voit pas. Voir – entendre, c’est du travail et non pas du donné. […] Le doute règne au montage : le doute sur ce qui est filmé. […] C’est donc un apprentissage du regard et de l’écoute qui suppose que rien n’a été vu, rien entendu, rien gagné définitivement au tournage, et qu’il vaut mieux mille fois risquer de perdre que risquer d’avoir gagné d’avance. […] Le montage est cette postulation du film comme autre, comme ce qui est à venir. »

 

Jacques Comets

 

Chaque jour, nous proposerons également un extrait de vidéo qui permette de retrouver Jean-Louis Comolli, sa voix, ses engagements, ses colères, ses certitudes…
Voici le dernier entretien qu’il a donné, en novembre 2021, à Jacques lemière, à propos de son dernier ouvrage paru alors, Une certaine tendance du cinéma documentaire