Louis Alibaud, qui voulut tuer le roi

Le 28 juillet 1835, à midi, à l’occasion de la commémoration du cinquième anniversaire de la Révolution de 1830, le roi Louis-Philippe passe en revue la Garde Nationale de Paris, déployée le long des boulevards. À hauteur du n° 50 du boulevard du Temple, une machine infernale, composée de vingt-cinq canons de fusils attachés ensemble sur une planche et chargés jusqu’à la gueule de poudre et de mitraille, explose au deuxième étage de l’immeuble. Le bilan est lourd – dix-huit morts et vingt-trois blessés graves – mais le roi et sa famille sont saufs. L’auteur, Fieschi, arrêté sur le champ, sera condamné à mort et exécuté.
Comme après chaque attentat, toutes les polices de France sont sur les dents. On ratisse large, dans tous les milieux d’opposition. Deux jours après l’attentat manqué du boulevard du Temple, le sous-préfet de Limoux signe un rapport dans lequel il met en cause un sieur Delbosque. Ce dernier, revenant de Paris quelques jours avant l’attentat, aurait tenu, dans un lieu public, et devant une personne digne de foi – Majorel, président du tribunal civil de Narbonne ! – des propos tout à fait déplacés : « Le roi exerce une grande puissance personnelle et, tant qu’il vivra, il sera un obstacle à la proclamation de la République. Mais il sera assassiné, et alors… »
Un an plus tard, quai des Tuileries, le sieur Meunier tire un coup de pistolet, sans l’atteindre, en direction du roi, qui se rendait en voiture à la chambre des députés.
Le 15 octobre 1840, Marius Darnès est posté dans un angle de la place de la Concorde, une carabine chargée de cinq balles et deux chevrotines. Il tire sur le roi qui se rend à Saint-Cloud. Seul un valet de pied reçoit quelques plombs. Darnès, lui, a plusieurs doigts de la main emportés par l’explosion de son arme.
Le 13 septembre 1841, le duc d’Aumale échappe à un attentat perpétré par un terroriste militant de la Société des Ouvriers Égalitaires. Un « instrument sauvage et farouche des sociétés secrètes » écrira le Préfet dans son rapport.
Le 15 avril 1846, un ancien garde des bois de la couronne, Pierre Lecomte, tire deux coups de pistolet sur la famille royale qui faisait une promenade en char à bancs dans la forêt de Fontainebleau. Pas de blessés.
Le 29 juillet 1846, Joseph Henry tire, sans les atteindre, sur le roi et sa famille, penchés au balcon des Tuileries pour répondre aux acclamations de la foule, massée pour un concert. Immédiatement appréhendé, Henry, fabricant d’objets de fantaisie en acier, déclare qu’il s’était rendu dans le jardin des Tuileries, au pied du palais, dans l’intention de tirer sur le Roi. C’est un homme habituellement paisible, voire « simple ». A la question qui lui est posée immédiatement sur les mobiles de cet attentat, il répond : « Par de grands malheurs que j’ai éprouvés, depuis six ans, je combats le suicide, et, ne pouvant me tuer, j’ai cherché le moyen qu’on me tuât. Il ajoute : « Il fallait que je tire sur un haut personnage. Tirer n’est pas tuer ; que je touche, qu’il y ait une contusion et j’aurais été satisfait. En partant de chez moi, je me suis dit tire, touche, ou ne touche pas, la chose est la même. »
La vie de Louis-Philippe est un long chemin semé d’embuscades. La Monarchie de juillet, qui s’est soldée par la fin des libertés et un retour brutal à l’ordre moral, aiguise la haine contre ce roi dont le règne est bordé par les barricades : celles des Trois Glorieuses, qui provoquent son arrivée au pouvoir, celles de 1848 qui le chasseront pour instaurer la Deuxième République.

 

Mais revenons douze ans plus tôt, le 26 juin 1836. Juste après le coup de pistolet du quai des Tuileries, le roi échappe à un nouvel attentat. Vers dix-sept heures, la berline royale quitte les Tuileries par le Carousel. Le conseil des ministres vient de s’achever, et Louis-Philippe se met en route pour Neuilly, avec la reine et Madame Adélaïde. Au moment où le roi salue la garde, un individu, embusqué dans les parages depuis plusieurs heures, tire à bout portant sur le roi, à l’entrée du guichet, avec une canne-fusil, « en l’introduisant dans la voiture et l’appuyant sur la portière. » La balle se fiche dans le panneau droit de la berline, à quelques pouces de la tête du roi, qui n’est pas atteint. Dans ses cheveux, on retrouve une étoupe rouge, la bourre de la cartouche.
Un peu partout en France, on placarde des affiches qui annonce que le roi vient d’échapper à un nouvel attentat, et qui loue la providence qui semble veiller sur lui.
À Carcassonne, le docteur Fréjacque, médecin-adjoint de l’hospice municipal, s’emporte à la lecture du placard. Sa colère, exprimée « en termes tellement grossiers que la pudeur publique les empêche de les reproduire ici », précisera son arrêté de révocation, porte sur « les regrets qu’il avait que la Providence ait encore épargné le roi. »
Le régicide, lui, a été arrêté sur le champ. Il brandissait un couteau avec lequel, confiera-t-il plus tard, il comptait mettre fin à ses propres jours, lorsque, molesté par la foule et bousculé par les gardes, il est désarmé et conduit à la Conciergerie, dans la cellule qui, un an plus tôt, avait abrité Fieschi et ses regrets d’avoir échoué.
Le premier interrogatoire établit que le terroriste se nomme Alibaud, et qu’il est de Narbonne, où il a exercé la noble profession de marchand de draps. Son père, qui débuta comme conducteur de diligence, ouvrit une auberge à Narbonne, à l’enseigne de La Girafe. Un rapport de préfecture indique que l’auberge était « le rendez-vous de tous les voyageurs ou individus qui avaient intérêt à se soustraire à la surveillance de la police. » Le cabaretier-logeur vouait une haine farouche au régime et à ses représentants locaux. Louis Alibaud, son fils, fait des études au petit séminaire, puis s’engage comme commis-drapier cher Sarrère, marchand de nouveautés à Narbonne.
Le 25 juin 1829, il abandonne son emploi et part s’engager, à Paris, au 15e régiment d’infanterie. Le 28 juillet 1830, pendant les Trois Glorieuses, son régiment est interposé entre les barricades de la rive gauche et celles de la rive droite. Il refuse de prendre part au rétablissement de l’ordre, et exhorte ses camarades à désobéir.
Il demande et obtient sa réforme, redescend à Narbonne où il travaille brièvement au service des Télégraphes, mais est renvoyé au bout de quatre mois, en mars 1835. Il tente de préparer le brevet d’instituteur, renonce, s’en va en Espagne chercher l’aventure et revient s’installer à Paris. C’est un ancien compagnon du petit séminaire de Narbonne, Léonce Fraisse, qui l’héberge. Alibaud rumine sa rancœur intacte contre le roi. Il achète une canne-fusil, un peu de poudre et une chargette. Le 26 juin donc, muni de son arme, il va roder vers les guichets du Louvre. A 17 heures, la voiture du roi s’avance…
L’enquête établit tout de suite qu’Alibaud a agi seul, sans complice. « Mes seuls complices, ce sont mes bras ! » assène-t-il aux policiers qui l’interrogent. Le procès se déroule sans attendre, devant la cour des pairs, du 26 juin au 9 juillet. Plusieurs camarades d’Alibaud viennent témoigner en sa faveur, mais l’accusé ne facilite pas la tâche de Charles Ledru, son avocat. Il défend devant la cour le droit au régicide, développe une critique implacable du pouvoir, et dresse une apologie de son acte. « J’avais à l’égard de Philippe Ier le droit dont usa Brutus contre César. Le régicide est un droit de l’homme qui ne peut obtenir justice que par ses mains ».
Il est condamné à mort, et guillotiné le 11 juillet.
Louis-Philippe a toujours détesté la peine de mort. Dans un souci d’authentifier les archives de son règne, il a annoté de sa main la liste complète des condamnés à mort pendant son régime. Devant le nom d’un Carcassonnais célèbre, Barbès qui, par deux fois, tenta de renverser le régime, il note : « Barbès Armand, 29 ans, 12 juillet 1839. Cour des pairs. Attentat contre la sûreté de l’État et homicide volontaire avec préméditation. Contre l’avis du Conseil des Ministres, j’ai commué la peine de mort en celle des travaux forcés perpétuels. » Devant le nom de Louis Alibaud, il écrivit : « À mon grand regret ! » Car Alibaud avait refusé de demander sa grâce.
Louis Blanc, dans Histoire de dix ans, insiste sur la beauté d’Alibaud : « Son visage, qu’encadraient de longs cheveux noirs flottants, était réellement beau ; ses yeux bleus étaient pleins de tendresse et sa physionomie présentait un singulier mélange de mélancolie, de grâces féminines et de fierté. ».

 

L’exécution d’Alibaud n’a rien changé à la détermination des opposants au régime. Le préfet de police Gisquet, dans un rapport sur la préparation du défilé du 28 juillet 1836 commémorant comme chaque année les Trois Glorieuses, écrit : « Les ennemis du roi ont de nouveau juré de l’assassiner. Des paris sont faits dans Paris que S.M. Louis-Philippe ne passera pas la revue de juillet. Des élèves en droit surtout, le disent hautement. Puis on a inventé des boules à artifice. Ces boules ont l’avantage de ne jamais éclater dans la main de celui qui les dirige. Elles n’éclatent qu’en tombant et fracassent tout ce qu’elles rencontrent, de sorte que trois ou quatre de ces boules lancées au même instant dans les jambes des chevaux et sous la voiture du Roi, voiture, hommes et chevaux seraient fracassés, et il n’en faut qu’une pour tuer le Roi, si elle est lancée directement dans la voiture. » Finalement, le Conseil des Ministres demande et obtient l’annulation de la revue du 28 juillet.
Le reste, c’est l’incroyable climat politique passionnel attisé par ces attentats répétés, et les délires complotistes qui se multiplient ici ou là. Là, justement, c’est dans l’Aude, où sans réseaux sociaux et sans chaînes d’information continue, les esprits s’échauffent terriblement. Voici ce que raconte dans son mémoire Georges Galfano, à qui j’ai emprunté l’essentiel de cette histoire :
« En octobre 1837, la dame Marie-Anne Poujade épouse Lignères, domiciliée à Fabrezan, écrit au duc de Nemours pour lui proposer des révélations au sujet d’un projet d’assassinat contre sa personne à l’occasion du siège de Constantine. L’enquête permit d’établir que le dame Lignières était une mythomane cupide qui espérait gagner la notoriété et obtenir des subsides à la faveur de cette pseudo-dénonciation.
Le curé de Ventenac d’Aude ne résista pas non plus à la tentation. Dans une lettre qu’il adresse au ministère de l’intérieur, il révèle que le 17 mai 1837 à 18h30, il avait entendu en confession, dans la pénombre de son « tribunal de pénitence« , un inconnu qui lui déclara avoir promis à un commanditaire, contre de l’argent, d’attenter à la vie du roi. Ce conspirateur repenti, arrivé le soir même à Ventenac par la barque de poste en provenance de Béziers, avait disparu après confession. Le sous-préfet de Narbonne, Auguste Taillefer, répond à une demande de renseignements du ministère de l’intérieur par une dépêche du 6 juin dans laquelle il exécute en ces termes l’imprudent confesseur : « Monsieur Galy, curé de Ventenac est, dit-on, un homme ambitieux, inconséquent et léger. Il a peu de capacité. Ses habitudes se ressentent de son éducation peu soignée. Elles ont été quelque fois l’objet de la critique. En général, cet ecclésiastique est peu estimé. Il est le fils d’un travailleur de terre. Sa mère se livrait aux travaux des champs les plus rudes. »

 

 

Louis-Philippe est finalement mort dans son lit. Enfin, dans un lit, qui n’était pas tout à fait le sien. Son règne s’acheva sous les émeutes et par sa fuite, en Angleterre. Caché dans une voiture banale, se présentant comme « Monsieur Smith », il embarque au Havre le 2 mars 1848. Il rejoint le château de Claremont, dans le Surrey, que la reine Victoria met à sa disposition. Il s’y éteint deux ans plus tard, sans entendre siffler nulle autre balle à ses oreilles.

 

 

Sources :
« Un régicide audois, Louis Alibaud », par Georges Galfano, Archives Départementales de l’Aude (cote 2 J 549)
« L’Affaire Alibaud, ou Louis-Philippe traqué », par J. Lucas-Dubreton, Librairie académique Perrin, 1927
« Le règne de Louis-Philippe », Jean Jaurès, Jules Rouff, in « Histoire socialiste de la France contemporaine, Eugène Fournière.